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TRIBUNE (La)

La Tribune. Organe des syndicats des mineurs du Pas-de-Calais, du Nord et d'Anzin

Suite de : Le Réveil.- Puis : La Tribune. Organe des syndicats des mineurs du Pas-de-Calais.- Puis : La Tribune des syndicats des mineurs et similaires du Pas-de-Calais

Lorsqu'elle apparaît le 19 juin 1919, La Tribune revendique déjà trois années d'ancienneté. Elle prend en effet la succession du Réveil (Cf. notice). Né en pleine guerre, en juin 1917, cet hebdomadaire était à la fois l'organe du syndicat des mineurs et de la fédération socialiste du Pas-de-Calais.
Imprimée à Nœux-les-Mines comme son prédécesseur, La Tribune reste le porte-parole des deux organisations jusqu'en 1921, avant de devenir celui du syndicat (1). Le titre n'est certainement pas fortuit. Son directeur jusqu'en 1940, le député Henri Cadot, se souvient probablement de cette Tribune locale et régionale. Journal socialiste (Cf. notice) dans laquelle en 1894 il tenait une rubrique minière.
Lors du lancement du journal, la rédaction du journal est installée au domicile du secrétaire de rédaction, le syndicaliste Alfred Maës. Secrétaire du syndicat, il est élu député socialiste quelques mois plus tard, lors des élections de novembre 1919. Nommé président de la fédération des mineurs du Pas-de-Calais et du Nord, il devient maire de Lens à partir de 1928, et supervise la rédaction de La Tribune jusqu'à l'invasion de 1940. Cette rédaction et l'administration du journal s'installent ensuite dans les bureaux du syndicat des mineurs, place du Cantin à Lens. En septembre 1926, elles retrouvent enfin une maison syndicale, flambant neuf, rue Casimir-Beugnet. Administrateur-gérant dès 1919, Henri Mailly (2) le reste jusqu'en novembre 1933 où il est remplacé par Alfred Ville.

Le premier numéro conservé aux Archives départementales du Pas-de-Calais est daté du samedi 19 février 1921. La Tribune marche dans les traces de La Voix du mineur. « Depuis le début janvier, note Maës lors du congrès des mineurs du Pas-de-Calais, notre Tribune est revenue ce qu'était La Voix du mineur avant la guerre, c'est-à-dire purement syndicaliste ». Organe du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais, elle sort cependant des presses du Réveil du Nord, 186 bis, rue de Paris à Lille, auquel le député Basly, toujours président du Syndicat des mineurs, a longtemps collaboré. La maison syndicale, inaugurée en 1911, qui abritait l'imprimerie ouvrière est toujours en ruines et les presses de la fédération n'y fonctionneront pas avant septembre 1926.
De format 43 x 62 cm, La Tribune est présentée sur six colonnes. Les collaborateurs sont peu nombreux. « Les 24 colonnes sont réalisées par deux ou trois hommes », se plaint le même Maës. Dans les mois qui suivent, participent pourtant à sa rédaction Albert Foubert, membre du comité de propagande, Henri Cadot, vice-président du Syndicat des mineurs du Pas-de-Calais, Désiré Coine, Paul Sion, Georges Havenne, Ch Quintin, Joseph (Ernest ?) Wery, Kléber Legay, Benoît Delorme, Julien Priem, Darguesse, etc.
L'hebdomadaire est alors vendue 15 centimes le numéro, soit 5 F pour un abonnement de six mois et 10 F pour un an. 1923, 1925,… pour faire face à l'inflation, le périodique qui, martèlent ses fondateurs, n'a « pas de ressources occultes, pas la publicité des journaux bourgeois et réactionnaires » doit augmenter son prix à plusieurs reprises pour atteindre 50 centimes quelques mois avant la Seconde Guerre.

LA CHRONIQUE DE LA VIE OUVRIÈRE
Les pages de La Tribune rendent compte de la vie de l'organisation à travers notamment de ses congrès. Dans les rubriques locales, les mineurs y lisent les annonces des réunions de sections, de comités techniques, de comités fédéraux, de congrès de concessions… Ils y déplorent les accidents du travail égrenés par leur journal.
Ces pages reflètent également leurs revendications et leurs luttes. En 1936, articles et chroniques disent les espoirs suscités par l'arrivée du Front populaire qui offre les « possibilités immédiates d'une politique nouvelle », ils soulignent également les acquis. Les lois et les décrets parus durant les semaines qui suivent les élections, les conventions négociées y sont détaillés et commentés.
Les éditoriaux témoignent aussi des revers enregistrés par la classe ouvrière dans les années 1938 et 1939. « Reprenant à leur compte le slogan de "La France au travail", les compagnies minières croient le moment venu de recourir aux anciennes méthodes de brutalités d'avant juin 1936 », constate, en janvier 1939, E. Mériaux. La Tribune s'émeut des solutions patronales pour améliorer le rendement : « chronométrage, déclassements, heures en bas, retour au favoritisme pour le classement… », mais aussi de la dénonciation par le comité des Houillères des conventions collectives d'avril et juin 1936. Face au slogan à la mode « Il faut faire des sacrifices », Léon Jouhaux tente d'en appeler à l'unité de la classe ouvrière.
La Voix du mineur paraissait peu sensible au monde qui l'entourait. La Tribune se montre un peu plus ouverte. Elle participe à la mobilisation du monde ouvrier en faveur de Sacco et Vanzetti en avril 1927. Elle se fait l'écho de la ferveur populaire lors du déplacement de Léon Blum en octobre 1936 à Lens. En novembre, sa « une » traduit l'émotion et la colère suscitées après la mort de Roger Salengro.
Le périodique traduit les divisions de cette classe ouvrière. La Tribune critique les positions des syndicats chrétiens sur les relations avec le patronat. Dans un article, Coine, Priem et Darguesse les assimilent à des syndicats jaunes : «» S’il plaît à ces gens-là de vivre aux crochets de la collectivité en bénéficiant de tous les avantages acquis par l'action de leurs camarades, laissons-les croupir dans leur égoïsme en leur faisant observer qu'ils se montrent tout le contraire de ce que devraient être de véritables chrétiens selon l’Évangile.
Conscients de la force de notre organisation syndicale, évitons de nous montrer outrancièrement sectaires. Restons énergiques et vigilants. Ce ne sont pas les quelques inconscients rebelles et fanatiques qui empêcheront la CGT et le gouvernement de Front populaire de réaliser jusqu'au bout notre programme de revendications. »

RÉFORMISTES ET UNITAIRES
Dès le congrès des mineurs de 1921 se pose la question de l'adhésion à l'Internationale ouvrière. Dans le deuxième numéro conservé aux Archives départementales du Pas-de-Calais et daté du samedi 17 février 1923, la question a été tranchée. La Tribune, devenue l'Organe des syndicats des mineurs du Pas-de-Calais, du Nord et d'Anzin est aux mains des réformistes.
L'affrontement avec les unitaires se manifeste à chaque page. En « une », les slogans fustigeant l’attitude des communistes se multiplient : « Ceux qui divisent la classe ouvrière font œuvre de réactionnaire. Ceux qui unissent la classe ouvrière font œuvre de révolutionnaire », « La grève est une arme à deux tranchants ; les travailleurs doivent essayer tous les moyens de conciliation avant de la mettre en pratique. » A ceux qui désespèrent de la division syndicale, Henri Mailly explique que l'unité n'est pas possible. « la CGTU a donné son adhésion à l'Internationale de Moscou dont les principes sont contraires aux vrais principes syndicalistes qui repoussent toute subordination à un parti politique quelconque.
L'unité ne peut se faire qu'à la base. Lorsqu'il n'y aura plus qu'un syndicat ou une section par localité, un congrès sera possible pour y prendre toutes les décisions qu'il jugera nécessaires pour y déterminer ses méthodes d'action, sa discipline dans l'action et dans la préparation de celle-ci, ainsi que fixer son orientation nationale et internationale… » L'invective tient souvent lieu d'argument : « Maudits à jamais soient ceux qui ont brisé la force combative que nous possédions pendant les années glorieuses de 1919-1920 pendant lesquelles nous étions devenus invincibles. »
Chaque partie se livre à la surenchère des chiffres qu'il est difficile de suivre. Selon La Tribune, le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais comptait en 1921 280 000 adhérents ; en 1922, l'année de la scission, ses effectifs seraient tombés à 176 000 ; en 1925, ils seraient remontés à 290 000.
Concurrencée par La Voix du mineur, organe des unitaires (Cf. notice), à partir de 1933, La Tribune redevient le journal de la CGT unifiée en novembre 1935. Dès le 19 octobre 1935, l’unitaire Cyprien Quinet signe un éditorial intitulé : « Un seul syndicat, un seul journal ».
Les relations entre réformistes et communistes sont souvent difficiles. La signature du pacte germano-soviétique est l'occasion de régler quelques comptes. La Tribune fustige la « trahison du front de la paix par la Russie ». Relayant les propos de la CGT, elle affirme que « les syndicalistes français flétrissent la trahison de Moscou ». Elle publie la longue résolution votée par le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais lors de sa réunion : « Moscou qui réclamait la sécurité collective et le respect de l'indivisibilité de la paix vient de piétiner honteusement ces mots d'ordre. » Elle condamne les unitaires, restés fidèles à Moscou : « Nous qui ne sommes pas des nationalistes mais des Français, nous ne pouvons admettre que deux membres du bureau du syndicat Quinet et Thiébaut aient couvert, par leur signature, le pacte germano-russe. »
La mobilisation générale entraîne la suspension de la parution pendant quelques semaines. Léon Jouhaux y affirme « l'impossible collaboration » avec ceux qui n'ont pas voulu se désolidariser de la politique internationale poursuivie par le gouvernement soviétique. La CGT a rompu avec les communistes. La condamnation tourne au déchaînement. Pour René Belin, Hitler et Staline sont devenus les « deux gangsters européens ». En mars 1940, la triple alliance est symbolisée sous les traits d'Hitler, la mort et Staline.
L'Allemagne a déjà lancé son offensive contre la France, lorsque paraît le dernier numéro de La Tribune. À l'occasion de la « vente aux enchères des biens mobiliers des staliniens lensois au siège du Parti et de L'Enchaîné », La Tribune ironise : « Les chefs du Parti communiste étaient prêts à tout. Ils tenaient séquestré un otage de marque. » Elle s'explique : « On s'attendait à voir défiler les œuvres de Lénine, de Staline, des meubles ornés de faucilles et de marteaux ; hélas rien de tout cela ; après quelques meubles usagés et sans signification, on présenta aux acheteurs une belle plaque en bois, avec en relief, la tête du Christ orné de sa couronne d'épines !!! » Et s'ajouter : « en prévision des changements aussi fréquents qu'imprévisibles Lecointe, Quinet et Thiébaut avaient pensé qu'un jour ils recevraient l'ordre de Moscou, après avoir chanté la Marseillaise et tendu la main, d'aller à la messe et de prêcher l’Évangile du haut du balcon de L'Enchaîné… Alors au lieu de rehausser l'éclat des démonstrations d'éloquence par des photos de Staline, de Thorez, de la Pasionaria, on aurait mis à côté de l'orateur le portrait du Christ… Administrer c'est prévoir, et rien ne permettait d'exclure une telle éventualité. »
Parallèlement, avant le choc des armes, le périodique appelle les mineurs à s'engager dans la bataille du charbon : « Pour la sauvegarde de la démocratie et des libertés, deux soldats se dressent. Tous deux sont indispensables à la défense du pays. Le soldat du front de la bataille, le soldat du front de la production. »

LA TRIBUNE DE LA RÉGION MINIÈRE
Tout au long de ces années, La Tribune connaît des changements. Retenons, seulement, en 1938, le dessin de Jonas qui accompagne le titre. Sa diffusion répond-elle aux espérances du syndicat ? En 1933, son tirage est de 14 000 exemplaires selon une déclaration de Maës à l'occasion du changement de gérant. Quelques mois avant l'arrivée du Front populaire, ce tirage a sensiblement progressé, pourtant le syndicat déplore qu'une « grande organisation […], avec plus de 40 000 adhérents » en reste « à un tirage de 17 000 numéros [pour son] journal corporatif ». Les accords de Matignon provoquent une explosion du nombre des syndiqués (100 000), le syndicat fait encore grise mine : « La Tribune n'a toujours que 19 000 exemplaires. »
En mai 1940, le journal est emporté dans la tourmente de la guerre. La Tribune. Organe des syndicats des mineurs et similaires du Pas-de-Calais ne reparaît officiellement que le 7 novembre 1944. Dans un article paru dans Liberté Hebdo (1) à l'occasion du centenaire du journal, Marcel Barrois, ancien mineur et responsable syndical, rapporte que, durant l'occupation, un comité d'actions syndicales le fit paraître clandestinement sous son ancien titre La Voix des mineurs (sic).
À la Libération, La Tribune ne comprend encore que deux pages de format 43 x 62 cm, présentées sur sept colonnes. Vendue 1,50 F, elle a pour directeur Nestor Calonne, membre du Parti communiste depuis 1920. Durant la guerre, il a fait partie des leaders de la grève de mai 1941. Alfred Ville est toujours le gérant du périodique, tandis que Léon Delfosse, Victor Foulon, Charles Morel, L. Lecoutre participent alors à sa rédaction. Après avoir laissé la direction du périodique à André Parent pendant quelques mois, Nestor Calonne le dirige à nouveau à partir de septembre 1947.
Grève de 1963, fermeture des puits,… La Tribune est le témoin du combat des mineurs, de leurs souffrances de l'évolution du bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais. Le dernier puits ferme en 1990, La Tribune continue pourtant sa parution. Devenue La Tribune de la région minière, elle fête son centenaire en septembre 2007.

(1) Le 25 décembre 1921, la fédération socialiste se dote d'un organe hebdomadaire L’Éclaireur du Pas-de-Calais (Cf. notice).
(2) Henri Mailly est démissionnaire.
(3) Toussaint (Lise), « Il était une fois La Tribune des mineurs », Liberté Hebdo, 28 septembre 2007, p. 19.