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Roubaix socialiste

Roubaix-socialiste. Organe du Parti ouvrier de la région de Roubaix, Tourcoing et environs

Éléments repris par : Le Travailleur. Organe du Parti ouvrier de la région du Nord

Le nouvel hebdomadaire Roubaix socialiste s’affirme Organe du Parti ouvrier de la région de Roubaix, Tourcoing et environs. Depuis longtemps il était nécessaire que Roubaix eût un organe spécial pour activer la propagande socialiste…C’est du moins ce qu’affirme l’éditorial du nouvel hebdomadaire, qui veut populariser les théories socialistes, et faire place, dans le même temps aux chroniques locales. Il comporte naturellement quatre pages, sur 50 cm de haut. L’hebdomadaire est imprimé par l’Imprimerie ouvrière rue de Fives à Lille, gérant Gustave Delory. L’abonnement pour un an coûte 6F. mais on peut aussi s’abonner pour six mois (3 F). ou trois mois (1,5 F). La rédaction est sise au 3, rue Vallon à Roubaix; la correspondance doit être adressée 6, rue de l’Alma pour Roubaix, et 104, rue Neuve de Roubaix pour Tourcoing. Le premier gérant est Émile Boucher, bientôt remplacé par G. Denys, l’ancien gérant du Travailleur selon Lepreux ; Denys causera quelques problèmes au Parti par la suite. En 1895, il fit couvrir les murs de Roubaix d’une affiche dans laquelle il réclamait à Carrette 1220 francs, somme qu’il estimait lui être due pour frais de gérance et procès divers. 1.2 La diffusion de l’hebdomadaire Le 1er numéro de l’hebdomadaire aurait été tiré à 2000 exemplaires, la seconde et la troisième livraison à 1000 exemplaires seulement. Le numéro 31 porte au-dessus de la signature de Denys, gérant, la, mention d’un tirage à 1200 exemplaires. Le numéro 72 (5 octobre 1892) la mention 2000 exemplaire, signée Delory, et celle du 12 novembre de la même année 2750 exemplaires. Les marchands de journaux peuvent se ravitailler chez Carrette, 104 rue de l’Alma. Dès le départ, la diffusion est entravée par la police. Le numéro 3 (3 octobre 1891) rapporte qu’un crieur se tenait au coin des rues du Tilleul et Ma campagne. Survient l’agent Catoire, qui demande à voir le permis du crieur et le confisque, en lui interdisant de crier l’article principal (le suicide du général Boulanger). Notre homme se rebiffe, et va se plaindre au commissaire. Celui-ci lui donne raison, et inflige 2 francs d’amende à l’agent trop zélé. Dans le numéro 31 (23 avril 1892), même histoire. Un agent veut empêcher un vendeur de crier le titre et le sous-titre du journal, sous peine de d’amende ; Mais lorsque deux camelots vendent Le Carillon lillois, journal opportuno-mabouliste en annonçant le programme de la cavalcade qui vient, aucun agent ne bouge… 1.3 La ligne et les activités de Roubaix socialiste Le nouvel hebdomadaire est socialiste. C’est sa raison d’être. On y trouvera donc des textes didactiques, signés parfois Laforgue ou Guesde[1], des articles sur les trade-unions, la femme en Russie, sur le patriotisme de classe : la bourgeoisie désapprouve la fraternisation des ouvriers français, belges ou allemand (cf. le rapport sur le congrès d’Erfurt de la social-démocratie allemande, 28 septembre 1891) mais applaudit au rapprochement entre les gouvernements français, russe et anglais. On trouvera aussi des informations nationales sur les problèmes intéressant les ouvriers, telles les discussions à la Chambre et au Sénat sur la journée de 10 heures (28 septembre 1891), ou, sur le même sujet, dans le numéro suivant, une critique de la position de la Chambre de commerce de Lyon qui s’était prononcée contre la réglementation uniforme de la journée de travail dans toutes les industries : Cette égalité, établie par la loi de la durée du labeur consacrerait l’inégalité la plus flagrante… Le temps passe, les arguments ne changent pas. On dénonce aussi les infractions à la législation existante, n’hésitant pas à qualifier les patrons en cause d’assassins : Chez Seynave, (constructeur de tubes et raccords métalliques, un ouvrier de 10 ans a le bras arraché par une poulie en mouvement ; la loi interdit pourtant d’employer des enfants de moins de 12 ans à ce poste de travail, et Roubaix socialiste met également en cause l’inspecteur du travail (3 octobre 1891). Chez Motte Bourgeois, un chauffeur tombe dans une cuve de réfrigérant ; Il en était à sa seizième heure de travail consécutive (idem) ! Roubaix socialiste prend aussi position sur les problèmes roubaisiens. Au Conseil municipal, Lepers réclame que la crèche accueille les enfants du lundi matin au samedi soir : la santé de la mère et celle de l’enfant ne peuvent qu’y gagner (n°14, 26 décembre 1891). L’on stigmatise aussi La Bande noire, groupe de capitalistes qui voudraient annexer une partie de Croix pour lotir ce terrain, après qu’il soit viabilisé aux frais de la Ville. Dans le même numéro on trouve le programme municipal du parti : instauration de cantines scolaires, mise en place d’un service médical et d’une pharmacie à prix réduits, gratuité des bains et des lavoirs, insertion dans les cahiers des charges d’une clause limitant à huit heures le travail dans les entreprises travaillant pour la ville, création d’une bourse du travail pour les syndicats, d’une maternité et d’un asile pour les vieillards, suppression des taxes d’octroi sur les denrées alimentaires, et publication d’un bulletin municipal, comportant les décisions et discussions du Conseil municipal. Roubaix socialiste est aussi anticlérical, voire athée, comme il est d’usage chez les socialistes. Le numéro 3 publie une chanson d’un certain Alfred L, intitulée S’il est un dieu… Le 19 décembre on trouve un article contre Notre-Dame de l’usine. Chez Cordonnier, dans ce bagne, c’est par bande, comme les moutons que l’on mène à l’abattoir, qu’on conduit les pèlerins au Château-blanc… Le numéro 71 (12 octobre 1892) imagine la comparution de l’industriel Cordonnier devant le Père éternel. La Libre pensée tient une réunion chez Bailleul (estaminet L’Internationale, boulevard de Belfort, in : n° 72, 15 octobre 1892). Et l’on discute de la proposition de loi tendant à la séparation de l’Église et de l’État dans le numéro 19 (19 décembre 1891). On trouve aussi des correspondances de France. Par exemple, dans le numéro 2, Paule Minck écrit de Montpellier, d’autres de Marseille, Rouen, Garges, ou Montluçon. Roubaix socialiste met aussi en cause la force publique, en particulier les agents Lorthiois et Catoire ; organise une quête pour les grévistes de Carmaux, un voyage au Vooruit de Gand (24 septembre 1892) ; un concert et une tombola dans le but de recueillir des fonds pour établir une bibliothèque fédérale. Soulignons que Roubaix socialiste n’hésite pas à recourir à l’intimidation, voire au chantage. Le 20 septembre, il dénonce nommément huit ouvriers tourquennois briseurs de grèves, avec adresse et précisions sur la vie privée : Untel, dont la mère a pris la poudre d’escampette avec un frère à barbette… Ou le 5 décembre 1891, contre un cabaretier qui insulte régulièrement les vendeurs de l’hebdomadaire : Nous pourrions lui rappeler quelques petites histoires, et rira bien qui rira le dernier… 1.4 Roubaix socialiste et ses concurrents Roubaix socialiste n’est pas tendre avec ses concurrents; Alexandre Faidherbe, instituteur, mais grand catholique, cheville ouvrière des syndicats mixtes, est mis en cause pour ses articles dans le Journal de Roubaix (par exemple le 3 octobre 1891) ; dans le numéro suivant, on lui recommande de lire Cent ans après, ou l’an 2000, de l’Américain Bellamy, (60c. chez Dentu) afin de s’ouvrir les yeux. La livraison du 13 septembre se gausse de Jules Huret, envoyé par Le Figaro. Nos amis de Roubaix se sont moqués de l’espion bourgeois chargé de travestir leur pensée, et ils lui ont donné de quoi être ahuri pour le restant de ses jours…(13 septembre 1892). Mais c’est tout particulièrement Lagrillière-Beauclère, rédacteur en chef de L’Avenir de Roubaix-Tourcoing et de Roubaix-Tourcoing, organes radicaux, qui est mis en cause. Le numéro 69 contient un Soliloque en un acte, intitulé Le beau Lagrillière : La scène représente un bureau au siège de la rédaction du Progrès du Nord. Au milieu un pupitre, un téléphone à droite, un fauteuil à gauche; Lagrillière-Beauclère copie un article sur les jésuites dans son dictionnaire et le signe…. Témoin encore ce portrait signé Henri Ghesquière, dénonçant les attaques incessantes dont les socialistes sont l’objet de la part de ce spirituel écrivain. Serait-ce parce que, ne trouvant plus de directeur de théâtre aussi compatissant que le célèbre Welh pour faire jouer ses mauvaises productions artistiques, il veuille faire ressentir à quelqu’un le poids de son caractère atrabilaire? […] De sorte que les chroniques et les carnets de ce panier percé qui se paie parfois un voyage en Afrique, on ne sait sur quel fonds de Panama, pour aller sans doute visiter le canal de Suez[…]. Après les hyènes viennent les chacals…(10 décembre 1892). Les voyages de Lagrillière sont d’ailleurs un thème récurrent dans Roubaix socialiste : Le soleil d’Algérie a tapé sur le cerveau de notre pauvre collègue, et à force d’inonder son crâne de ses rayons brûlants, il a fait fondre le peu de cervelle qui était logée dessous… (1er octobre 1892). Et Roubaix socialiste de se réjouir : La campagne menée contre L’Avenir [par le P.O.F.] a déjà porté ses fruits, et bien des marchands ont vu la vente de ce journal diminuer dans de notables proportions. […] M. Lagrillière-Beauclerc (de lune) croyant être spirituel, a été niais et menteur… (n° 14, 26 décembre 1991) 1.5 La fin de Roubaix socialiste Le 8 janvier 1893 (n° 99), Roubaix socialiste annonce sa disparition à compter du mercredi 11, invitant ses lecteurs à se reporter sur Le Travailleur : Le Roubaix socialiste avait pour but de centraliser et coordonner les forces du socialisme à Roubaix et environs. Le but est atteint. Les 48 groupes du Parti qui se tendent la main assure au Parti l’union qui fait sa force. Aujourd’hui il faut que l’on fasse pour la région du Nord tout entière ce qui a été fait pour la localité. Le Parti ouvrier s’organisait, la centralisation commençait à poindre. Elle ne se relâchera plus. -------------------------------------------------------------------------------- [1] Dans le n° 92 du 19 octobre 1892, Guesde répond à Pelloutier.