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Réveil artésien (Le)

Le Réveil artésien. Organe révolutionnaire

Un titre apparemment sans provocation ni violence, lancée comme un crachat à la face du monde. Tout juste, un intitulé emblématique d'une espérance, d'un sursaut de la classe ouvrière. Organe révolutionnaire, Le Réveil artésien cache bien son jeu. Ce périodique milite en effet pour l'instauration d'« une société libertaire-communiste » par la lutte de classes. « Suppression des états et de ses corollaires militarisme, patrie, drapeau, suppression du patronat et du salariat, expropriation violente et mise en commun de la propriété individuelle, destruction de la légende Dieu par l'éducation libertaire, voilà ce que comprend notre programme » affirme l'un des multiples gérants du périodique après la condamnation de son prédécesseur. Et de lancer comme une imprécation : « Peuple producteur, réveille toi, révolte-toi. Sors de ton état léthargique, secoue ta nonchalance et ensemble renversons et écrasons les tyrans, chenapans de finance et de gouvernement et de concert, instituons une société communiste. »

Dès sa création en février 1910, cet hebdomadaire fait du rejet du régime en place son credo. Lors de la présentation de ses vœux pour 1911, son gérant n'a pas de mot assez durs pour cette République qui a abandonné à son sort les masses laborieuses : « Vieille catin que nous connûmes si fière, si belle alors que pour la défendre nos pères n'avaient besoin et ne réclamaient ni privilèges, ni rétribution. Faut-il que tu sois tombée bas, […]. Faut-il que l'ambiance du milieu capitaliste t'eût avilie. Reporte ton souvenir à ton adolescente, vieille salope, et dis nous si lorsque tu comptes d'avance, de tes mains débiles, les pièces d'or à tes salariés, chaque ride de ton vieux front ratatiné ne tressaille pas de honte à la vue de ces mains vides d'or et de faveur, tendues vers toi dont le berceau fut protégé par les poitrines viriles et désintéressées de ceux qui en le défendant, croyaient défendre leur mère. »

SUS À LA PRESSE BOURGEOISE
Le Réveil artésien répète ainsi l'envi : « À Bas la république ! » En effet, si l'étiquette a changé, le même esprit anime la classe dirigeante depuis cent ans : « Partout dans cette Europe civilisée, des injustices se commettent. Hélas la bourgeoisie d'Europe fait bonne école. » Aussi n'hésite-t-il pas à crier « Que revivent les bombes ! » (18 septembre 1910), ou à revendiquer en « Une » « le droit à la violence » (1er au 8 avril 1911).
Tous les serviteurs du régime sont mis au pilori. Et d'abord, la grande presse, cette « prostituée ». Le Réveil artésien la compare à l'alcool, ce fléau qui avilit le peuple et qu'il faut combattre. À plusieurs reprises, il martèle le même mot d'ordre : « Ouvrier boycotte l'alcool ! Boycotte les grands quotidiens à 5 centimes. » Même lorsqu'ils dénoncent le sort de la classe ouvrière, les journalistes ne trouvent pas grâce aux yeux de l'organe révolutionnaire : « ce sont ces êtres qui ont pour conscience un cloaque ; ce sont ces auxiliaires de la police, ces bas valets de ministères et de financiers véreux, ce sont ces hommes toujours tournés, moyennant salaire, du côté des exploiteurs contre les exploités, toujours rangés avec les vainqueurs pour accabler les vaincus, c'est cette vile engeance qui, prise soudain d'une sublime fièvre, s'enflamme pour de malheureux ouvriers persécutés. » Pour lui, L'Humanité n'est qu'un « pseudo journal du prolétariat fondé sur l'argent des Rothschild ». S'il déplore la disparition du Citoyen, organe de la fédération socialiste du Pas-de-Calais, il lui jette une dernière pierre : « Son socialisme était d'une pâleur de mort. »
Parmi les hommes au pouvoir, Le Réveil artésien dénonce particulièrement « le crapuleux renégat Briand qui a encore une fois jeté à la face du peuple révolté ses hideux mensonges, ses infâmes ignominies ». Il ne le qualifie que de « premier jaune de France », de « distingué gredin du socialisme ».

L'INSURRECTION PAS LA GUERRE
L'antimilitarisme traverse tous les numéros du périodique. La caserne est l'un des piliers de l'exploitation du peuple. S'il a ouvert une chronique militaire arrageoise, c'est pour « fustiger, comme ils le méritent, certains officiers et sous-officiers du 3e génie ». Le constat est accablant : «Tous les jours, remarque-t-il, une nouvelle injustice se commet à la caserne ». Le 18 septembre 1910, il appelle à la vengeance après la mort de « trois jeunes soldats assassinés en Afrique [par] des brutes galonnées » : « De toute la classe ouvrière dont ces trois martyrs appartenaient, se dressera-t-il un Ravachol, un Caserio, un Émile Henry ou un Vaillant (1) pour remettre en vigueur le procédé d'antan, pour venger les trois mamans qui pleurent, qui clament à la face des bourreaux le mot de bandits. » En août 1910, Marix et Bacqueville sont poursuivis l'un pour un article « Le drapeau dans le fumier » et l'autre « Honneur à l'armée ».
En février 1910, le journal avait publié, sur toute sa première page, les conseils de Gustave Hervé aux « bleus qui vont partir ». Celui-ci leur enjoignait de « refuser de faire le travail des grévistes, de tirer sur [leurs] frères, de ne pas croire aux boniments patriotiques des grands journaux… » Devant les rumeurs de guerre, il leur rappelait qu'« il n'y a que deux patries : celle des capitalistes et celle du travail et de ses exploités, qu'une guerre entre travailleurs français et allemands serait un crime de lèse-humanité et une farce sanglante.
Ce jour-là, poursuivait-il, si tu n'es pas un lâche, ni un imbécile, tu mettras ton fusil au service de la République sociale que les socialistes de tous les pays veulent fonder et tu crieras avec eux, avec tous les hommes de cœur de France et d'Allemagne : "Plutôt l'insurrection que la guerre". »
Autre pilier de l'exploitation du prolétariat, l'usine. Le Réveil artésien se fait un devoir de traquer tous les patrons pour qui les ouvriers ne sont que des serfs… En octobre 1910, il salue la grève des cheminots comme l'aube d'un espoir : « admirables, courageux travailleurs ». Malheureusement, le mouvement se solde par un échec, par la poursuite des meneurs. Le Réveil en appelle à la solidarité : « Amis lecteurs soyez humains, envoyez votre obole au Réveil pour aider ces malheureux et pour que nous puissions continuer la lutte. »
Comment ne pas voir dans ces conditions de vie, une des conséquences de la dénatalité qui touche la France ? « La cause principale de l'abaissement des naissances dans la classe ouvrière tient à la difficulté croissante de la vie des ouvriers » répond-il à la presse bourgeoise. Et d'ironiser sur le ton « mélodramatique » du Matin qui qualifie la restriction volontaire des naissances de « crime national ». Le Réveil n'hésite pas à faire la promotion des moyens de contraception. Et la réclame d’ajouter : « Pour éviter la grossesse ! l'ovule fusible au trioximéthylène ».
Localement, Le Réveil s'en prend aux notables locaux : un administrateur de l'hospice, membre du parti radical, soupçonné de malversations, le commissaire de police, ce « forban de la place Beauvau » qu'il poursuit de sa vindicte,...

COUVERT DE GLOIRE ET ASSOIFFÉ DE JUSTICE
Présentée sur trois colonnes, cette feuille de quatre pages est fragile. Vendue 5 centimes le numéro, soit 1, 50 F l'abonnement de six mois, elle doit faire appel à la générosité de ses lecteurs pour survivre. Une souscription permanente est ouverte à laquelle participent « des antimilitaristes, des anarchistes, un saboteur, un dégoûté des 15 000, un fonctionnaire dégoûté de la République, un qui ne soupe jamais… » En octobre 1910, elle annonce un tirage de 2 000 exemplaires, ce qui ne présume pas de ses ventes. Aucun prix n'est annoncé pour la publicité.
Les rédacteurs sont tous des militants travaillant bénévolement. « Nous défendons notre foi révolutionnaire et contrairement aux arrivistes, aux adaptés, aux ralliés qui défendent Marianne parce que cette garce s'est prostituée à eux, comme ils défendront demain n'importe quel autre régime… »
Ces rédacteurs ont pour nom Gillet, Émile Bacqueville, Robert Mercier, Marie Coquidé, Alix Morix… Plusieurs d'entre eux occuperont le poste de gérant. Beaucoup d'articles sont aussi signés de pseudonymes : R. Volté, Antipoliceman, A Baslarmé, Bonneff, Jeune Cisaille,… Certains rédacteurs se cachent sous les noms de Robespierre, Joseph Lebon. Enfin Benoît Broutchoux y apporte occasionnellement son concours.
Après le congrès des travailleurs du sous-sol, tenu à Albi en mars 1910, l'heure est à l'unité syndicale. Broutchoux, fondateur de la fédération syndicale des mineurs du Pas-de-Calais, rejoint le « Vieux syndicat » réformiste de Basly. Le 11 septembre 1910, Le Réveil artésien annonce la tenue, sous l'impulsion de Broutchoux, d'une réunion chargée d'examiner la fusion des trois journaux révolutionnaires : L'Action syndicale de Lens, le Combat de Tourcoing et Le Réveil artésien d'Arras, pour « des raisons d'économie, d'organisation, de cohésion et d'unité d'action. » Malgré ses nombreuses difficultés, Le Réveil préfère garder son autonomie.
Ses combats, notamment contre les notables locaux, lui valent en effet plusieurs procès. En janvier 1911, la rédaction note : « notre Réveil artésien rentre dans sa 2e année, couvert de gloire et assoiffé de justice ». En quelques mois, il a été assigné en justice dix-sept fois. Amendes, peines de prison pour ses gérants, à chaque fois, le journal se veut optimiste : « La sentence est terrible […]. Mais qu'à cela ne tienne, Le Réveil artésien reste debout et est toujours prêt à cingler les forts, à défendre les faibles », « Le Réveil artésien n'est pas mort. Il ressemble au roseau, il plie mais ne rompt pas », « Il vient encore de subir l'étreinte de la pieuvre justice. Mais que peut-elle faire ? Rien ! Absolument rien ! […] elle ne pourra arrêter nos idées de justice ».
Symboles de ces difficultés, la rédaction change plusieurs fois d'adresse : 53, boulevard Carnot à Arras, 1, rue du Conseil, 12, rue de Bapaume…, les gérants : Marisse, E. Bacqueville, Marie Coquidé, Gillet, Boisleux… se succèdent jusqu'en mai 1911. Malgré ses affirmations, Le Réveil artésien disparaît. Aussitôt Le Grand Soir prend la relève, poursuivant la numérotation de son prédécesseur.

(1) Auteur de deux attentats en mars 1892, Ravachol est d'abord condamné aux travaux forcés à perpétuité le 27 avril. Il est ensuite condamné à mort pour un meurtre et est guillotiné le 11 juillet 1892.
Le 9 décembre 1893, au Palais-Bourbon, Auguste Vaillant lance une bombe sur les députés. Condamné à mort, il est guillotiné le 4 février 1894. Émile Henry prend le relais de Vaillant. Il est arrêté le 12 février 1894 lors d'un attentat dans le hall de l'hôtel Terminus de la gare Saint-Lazare à Paris. Il est guillotiné le 21 mai 1894.
Pour venger la mort d'Émile Henry, Caserio poignarde Sadi Carnot, le 24 juin 1894 alors qu'il se rendait au Grand-Théâtre de Lyon. Caserio est exécuté le 16 août.