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PROPAGATEUR DU PAS-DE-CALAIS (LE)

Le Propagateur du Pas-de-Calais. Journal quotidien politique, agricole, commercial et littéraire

Devient : Le Propagateur du Nord et du Pas-de-Calais. Journal quotidien politique, agricole, commercial et littéraire

Ayraud-Degeorge est un récidiviste. Après la disparition du Progrès du Pas-de-Calais, quotidien fondé par Frédéric Degeorge, et après un détour infructueux vers la presse non politique, il lance le 16 juin 1859 à Arras Le Propagateur du Pas-de-Calais. Journal politique, littéraire, agricole et commercial.

LE PATRONAGE DE L'EMPEREUR ET DE DEGEORGE
D'aucuns l'avaient peut-être cru perdu pour la presse. Dans un prospectus du 30 mai, imprimé par Leleux, imprimeur et propriétaire de L’Écho du Nord à Lille, l'ancien opposant au coup d’État de 1851 rend d'abord hommage à l'empereur. L'armée impériale, soutenant l'action des troupes piémontaises, vient de battre les Autrichiens à Montebello : « Le Propagateur du Pas-de-Calais apparaît dans des circonstances solennelles ; il naît au bruit du canon de l'armée française, commandée par d'illustres généraux, sous les ordres de l'Empereur, et déjà victorieuse des oppresseurs de l'Italie. Saintes victoires ! auxquelles applaudit le génie de l'indépendance et de la liberté des peuples. » Ayraud-Degeorge revendique la filiation de son journal avec celui créé, en 1827, par son beau-père (Cf. notice Le Propagateur) : « Ce titre n'est pas une nouveauté ; une première fois, j'aime à espérer que vous ne l'avez point oublié, il a été rendu populaire par M. Frédéric Degeorge dont la mémoire est pour nous une religion. »
Quant au contenu, Ayraud-Degeorge reste assez vague, mais il se veut ambitieux : « Le Propagateur consacrera aux nouvelles de la guerre, aux matières politiques, d'économie sociale, agricoles, commerciales et littéraires, aux cours de tous les marchés, autant d'espace que les plus grands journaux de Paris et de Province, tels que Le Siècle, Le Constitutionnel, La Patrie, Le Journal de Rouen et l’Écho du Nord. »
Argument qui, espère-t-il, emportera l'adhésion des hésitants : « Le Propagateur coûtera cependant moins cher que tous ces journaux ». Le prix de l'abonnement à ce quotidien, imprimé par Le Male, 6, rue des Rapporteurs à Arras, sera de treize francs par trimestre. Et s'il fallait une dernière raison pour que les indécis signent le bulletin d'adhésion accompagnant ce prospectus, il annonce un cadeau : « Chaque abonné recevra une très belle carte du théâtre de la Guerre. »
Présenté sur quatre colonnes, le premier numéro du journal s'ouvre sur un avis de l'administrateur caissier S. Delimal rappelant les conditions d'abonnement et un article du directeur politique Ayraud-Degeorge. Le Propagateur est un journal libre : « En nous laissant le droit de reprendre la publication d'un journal politique Sa Majesté l'empereur nous a laissé toute indépendance, nous en userons librement. » Le journaliste retrouve quelques anciens collaborateurs. Eugène Dauriac y tient toujours ses éphémérides. Quant à N. Delimal, il suit les affaires du Pas-de-Calais. La structure du quotidien est classique, conforme aux promesses du prospectus distribué quelques jours plus tôt, avec des nouvelles de l'extérieur, de la France, de Paris, des départements, du Pas-de-Calais, un feuilleton, Le Flocon d'Argent pour l'occasion, des réclames et les cours de la Bourse en quatrième page.
Cependant l'affaire tourne court. Le Propagateur du Pas-de-Calais cesse de paraître le 30 octobre, « par suite, écrit Ayraud-Degeorge, de circonstances indépendantes de la volonté de ses rédacteurs. »

LILLE POUR MIEUX SERVIR ARRAS
Le journaliste ne renonce pas. Dans un nouveau prospectus, paru le 4 mai 1860, il exhibe un arrêté du ministre de l'Intérieur : « M. Ayraud-Degeorge est autorisé à continuer à Lille, sous le titre Le Propagateur du Nord et du Pas-de-Calais, la publication du journal politique et quotidien qu'il a été autorisé à créer à Arras le 18 juin 1859 sous le titre Le Propagateur du Pas-de-Calais ». Les obstacles n'ont pas manqué, le préfet du Nord ne souhaite pas voir arriver une troisième feuille politique dans sa ville et en décembre 1859, en janvier 1860, en mars, il multiplie les interventions auprès du ministre de l'Intérieur pour souligner « les inconvénients d'une telle création ». L'arrivée à Lille d'Ayraud-Degeorge suscite quelques grincements de dents. Danel s'est vu refuser l'autorisation de transformer ses Affiches en journal politique, Reboux attend toujours pour son Journal de Roubaix.
Cet arrêté donne lieu à une déclaration ambiguë, aux accents à la fois démocratiques et dynastiques envers un régime qui, certes, se libéralise, mais reste répressif. Le Propagateur du Nord et du Pas-de-Calais « sera le premier juin ce qu'il était le 30 octobre ; nul ne servira avec plus d'ardeur les véritables intérêts de la démocratie appuyée sur les grands principes de 1789, la démocratie est désormais l'état politique de la France, car par sa base même, la souveraineté du peuple, exercée au moyen du suffrage universel, elle consacre l'égalité civile et politique, et rassure complètement contre le retour de ces longues oppressions de castes, causes fatales de toutes les révolutions, nul n'applaudira avec plus d'enthousiasme sincère aux triomphes de la Patrie, nul n'aura de plus vives aspirations vers la liberté, dont la civilisation a fait le premier besoin moral des peuples modernes. » Ce qui lui permet de se présenter comme un journal libéral.
Ayraud-Degeorge donne ensuite quelques précisions sur le contenu de ce nouveau journal, il publiera « un feuilleton-roman des meilleurs auteurs ainsi que le récit des événements intéressants et les nouvelles les plus attrayantes de la politique, des arts et de la littérature, en même temps que les journaux les mieux informés de Paris, dont il reproduira les meilleurs articles » et bien sûr, il satisfera à « tous les intérêts engagés dans le commerce, l'industrie, l'agriculture, par la publication exacte et rapide des cours des grands marchés du Nord, du Pas-de-Calais, de l'Aisne, de la Somme, de Rouen, du Havre, de Nantes, de Bordeaux, Marseille, Lyon et Paris. »
Le titre change, le format s'est agrandi. Présenté sur cinq colonnes, le quotidien atteint 60 x 44 cm. En devenant Le Propagateur du Nord et du Pas-de-Calais, le journal d'Ayraud-Degeorge cesse aussi d'être imprimé à Arras. Il est réalisé par l'Imprimerie Lefebvre-Ducrocq à Lille. Le journaliste présente ce déplacement comme stratégique : Le Propagateur « ne fait que s'assurer la possibilité d'être plus utile au département du Pas-de-Calais dont il défendra toujours librement les intérêts. » Il conservera une rédaction à Arras et « grâce à la rapidité des moyens d'information et de locomotion de notre époque, ajoute son directeur, Le Propagateur arrivera aux abonnés du Pas-de-Calais aux heures habituelles, nul ne le devancera. » Le journal s'installe, 10 bis, Marche-au-Verjus à Lille.

LE JOURNAL DES LÉGITIMISTES LILLOIS
Encore une fois, Ayraud-Degeorge doit renoncer. Le 5 octobre, le préfet du Nord constate : « M. Ayraud-Degeorge, malgré des articles à effet sur la démocratie napoléonienne, malgré ses allusions à l'encontre des autres journaux de Lille, malgré le titre de son journal qui comprend le Nord et le Pas-de-Calais, n'a pas réussi à grouper autour de lui un public nombreux. Son tirage est resté modeste. On l'a lu avec plus de curiosité que de confiance. Même ce mouvement de curiosité s'est ralenti… La position du journal n'est pas forte… » Le journaliste arrageois est obligé de passer la main. Il est remplacé à la tête de la rédaction par Henri Lefebvre, un ancien professeur du collège de Marcq-en-Barœul, « écrivain distingué », reconnaît la police impériale, mais « légitimiste et clérical ». À Lille, il est secondé par Joseph Delcourt et Théry. Tous deux ont été rédacteur au quotidien catholique la Vérité, le premier est chargé de la rubrique locale et le second de la rubrique départementale. L'information arrageoise et du Pas-de-Calais est assurée en 1862 par Edmond Dutruel, puis en 1864 par Rousseau-Leroy.
Avec le départ d'Ayraud-Degeorge, le journal prend une nouvelle orientation. La direction politique est confiée à Véran. Qualifié il y a quelques semaines d'« ultra démocratique », ce titre prend un caractère nettement religieux. En 1864, il passe d'ailleurs entre les mains d'une société composée de trente-trois actionnaires issus du milieu légitimiste dont le député Kolb-Bernard, Scalbert…
Dans le Pas-de-Calais, Le Propagateur va donc engager le fer contre Le Courrier du Pas-de-Calais qui soutient la politique impériale notamment en Italie. L'affrontement atteint son paroxysme en 1866 où les états du pape sont menacés par les partisans de l'unité italienne. En février 1865 reprenant une expression du Courrier qui trouve « la langue des papes, cardinaux évêques [...] trop élastique », le journal légitimiste s'en donne à cœur joie : « Élastique mais ce ne doit pas être une difficulté pour Le Courrier, qui est l'élasticité même. N'a-t-il pas traduit tour à tour, d'une manière fort remarquée, la pensée du premier Empire, de la Première Restauration, des Cent-Jours, de la Seconde Restauration, du gouvernement de Louis-Philippe, de la République, de la Présidence. Que le vent tourne un peu et Le Courrier fera l'éloge de ce même latin dont il se moque aujourd'hui… à ses dépens. » Et le thème est égrené à plusieurs reprises. En décembre 1866, il écrit encore : « Depuis 65 ans, il n'a jamais fait qu'applaudir. L'habitude est une seconde nature. Il a donné à la république de Cavaignac les mêmes éloges qu'à Louis-Philippe, à Charles X, à Louis XVIII. » Et d'ajouter lorsqu'en décembre 1866, le Courrier soutient la candidature de Sens lors des élections législatives : « Quant aux sentiments religieux de M. Sens, nous nous sommes borné à faire remarquer que le certificat donné à son candidat par Le Courrier du Pas-de-Calais est loin à nos yeux d'être une recommandation.
Nous tenons pour fort suspect tout ce qui nous vient de la rue du Vent-de-Bise. N'avons-nous pas malgré les sentiments bien connus du magistrat placé à la tête de ce département, à relever presque chaque jour, dans le journal de M. Tierny des opinions qui contristent tous les cœurs catholiques. » Si Tierny porte l'affaire en justice, ces divergences m'empêche pas les deux quotidiens de se retrouver pour prôner le « oui » lors du plébiscite de mai 1870.

PLACE AU NOUVELLISTE
L'affaire semble d'emblée prospère. En 1863, le quotidien aurait 1 700 abonnés dont 900 originaires du Pas-de-Calais. Pourtant dès le 1er avril 1862, le prix de l'abonnement est plus élevé dans le Pas-de-Calais qu'à Lille : 13,50 F pour trois mois dans ce département comme dans ceux de l'Aisne et la Somme, contre 12 F dans la préfecture du Nord.
Bien avant 1870, le journal ne mentionne plus de rédaction à Arras. S'il n'a pas renoncé au Pas-de-Calais, on ne trouve plus qu'une adresse pour les abonnements, L. Calonne, 4, rue des Trois-Filloires à Arras, que les lecteurs peuvent d'ailleurs renouveler auprès du gérant à Lille. L. Calonne signe encore quelques articles, mais Le Propagateur est devenu essentiellement un journal lillois au service des légitimistes. Il est racheté par Alfred Reboux qui, en 1883, le fusionne avec Le Mémorial de Lille pour donner naissance au Nouvelliste du Nord et du Pas-de-Calais.