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Progrès du Pas-de-Calais (Le)

Le Progrès du Pas-de-Calais

Suite de : Le Propagateur

Le 4 janvier 1836, Le Progrès du Pas-de-Calais remplace Le Propagateur. Depuis quelques mois, la loi de septembre 1835 est venue durcir les conditions d'exercice de la presse. Infléchir la ligne politique du journal ? Les rédacteurs, emmenés par Frédéric Degeorge, rejettent l'idée. Trop frileux ou mécontents de l'orientation prise par une publication créée pour soutenir les députés constitutionnels contre les ultras, la majorité des actionnaires du Propagateur se refusent donc à payer le supplément de cautionnement exigé par l’État.
La société est liquidée le 1er janvier 1836. Une nouvelle entité est créée pour le lancement du Progrès. Frédéric Degeorge retrouve quelques-uns de ses associés dont Corne de Brillemont, Il peut surtout compter sur un jeune collaborateur, fils d'un ancien député libéral, Édouard Degouve-Denuncques. Il, écrira-t-il en 1848, « ouvrit sa bourse […] et permit au Progrès de naître en fournissant le cautionnement ». La rédaction reste la même que celle du Propagateur. Quant à l'impression, elle est toujours assurée par le frère de Degeorge, Jean, installé rue du 29 Juillet à Arras.

RÉSOLUMENT DANS L'OPPOSITION
La physionomie du Progrès. Journal du Pas-de-Calais, politique, littéraire, industriel et commercial est très proche de celle de son prédécesseur. Il est imprimé sur trois colonnes, il paraît tous les deux jours au prix de 9 F par trimestre pour Arras et 10 F pour le dehors. L'esprit du nouveau titre est bien sûr le même. Dans un article paru le 21 mai 1850, et intitulé « Comment Le Progrès a remplacé Le Propagateur », Degeorge ne laisse aucun doute : « l'un et l'autre ont eu les mêmes rédacteurs, ont défendu les mêmes principes, suivi la même marche. » Ce nouvel organe se situe délibérément dans l'opposition au régime. Aussi est-il rapidement aux prises avec la Justice.
Dès le 16 mai 1836, Degeorge se retrouve, pour un article intitulé « Les conspirations, les complots dénotent l'impopularité du gouvernement », devant les assises de Saint-Omer où il est, encore une fois, acquitté. En juillet 1838, lors d'un nouveau procès, il est condamné à un mois de prison qu'il effectue quelques mois plus tard. Tracasseries administratives, poursuites,… sont le lot habituel du journal. En mars 1842, il dresse un bilan tout à son honneur : « Le Progrès, pour sa part, a eu 27 procès qui ont été suivis de 27 acquittements. Il n'avait donc pas, aux yeux du pays, offensé les lois, puisque 27 fois, sa non-culpabilité a été proclamée.
Ou dans ces 27 circonstances, il a été l'objet d'injustes poursuites et subi les tracasseries passionnées des gens du roi. Ou il faut déclarer que les 324 jurés qui se sont prononcés en sa faveur et contre le parquet, ont menti 27 fois à leur conscience, et rendu 27 verdicts d'iniquité. »
La combativité aurait-elle des limites ? Elle coûte probablement bien cher. En août 1842, lors de son 28e acquittement, Degeorge se fait plus prudent : « Dut notre verve d'écrivain, notre franchise de patriote y perdre quelqu'éclat, tout en refusant constamment notre voix et notre concours aux proscripteurs de la pensée, tout en gardant avec nos opinions notre indépendance, tout en continuant à combattre avec énergie les actes antinationaux du ministère de l'étranger et ses tendances au despotisme, tout en restant, en un mot, nous-mêmes, nous ferons en sorte de n'offrir, à l'avenir, aucun prétexte aux ennemis de la presse patriote de nous traduire de nouveau aux assises ; nous tâcherons de leur ôter l'espoir de nous ruiner par des amendes, et nous ne leur fournirons pas imprudemment la joie de nous ensevelir vivant dans leurs cachots. »
Le Progrès est de tous les combats électoraux, sans réussir à porter à la victoire les candidats de l'opposition qu'il soutient. Le périodique réclame une réforme électorale, prônant même à plusieurs reprises l'instauration du suffrage universel. À partir de juillet 1842, il ouvre ses colonnes à Louis-Napoléon Bonaparte, prisonnier au fort de Ham après une tentative de soulèvement contre le régime le 6 août 1840. Il y traite, d'abord anonymement, puis sous la signature XX, et enfin sous son nom, de politique extérieure, des questions militaires, sociales et économiques. À partir de mai 1844, il donne une série d'articles sous le titre « Extinction du paupérisme ».

Fier de son indépendance d'esprit, Le Progrès l'est aussi de son audience. Faute d'autres sources, il faut s'en remettre aux indications fournies par le journal. Le pouvoir peut lui refuser la publication des annonces judiciaires au profit de son concurrent, il ne manque jamais de rappeler sa popularité. En mars 1842, Le Courrier diminue le prix de ses abonnements, baisse celui de ses annonces. Quel aveu de faiblesse ! « La feuille de la préfecture, appelant, par l'appât du bon marché, les abonnés, révèle le malaise de sa position » tranche le journal de Degeorge. Le Progrès aurait ainsi trois fois plus d'abonnés qu'aucun autre journal du département. Malgré le monopole des annonces judiciaires accordé à son concurrent arrageois, il a un tiers d'annonces en plus que lui.
En décembre 1846, alors que l'insertion des annonces judiciaires vient une nouvelle fois de lui être refusée (1) au profit, lâche-t-il, de « ceux qui défendent la politique ministérielle, quel que soit le nombre restreint de leurs lecteurs », il annonce fièrement 1 075 abonnés. Son audience serait beaucoup plus large. Le Courrier s'honore de compter beaucoup de fonctionnaires parmi ses abonnés, « l'abonnement d'un fonctionnaire procure deux ou trois lecteurs » lâche dédaigneux Le Progrès. Par contre, le journal de Degeorge se flatte d'avoir « plus de 250 cafés, cabarets, hôtels sur ses listes d'abonnés ». Et d'en tirer la conclusion : « c'est par centaines qu'il faut compter [les abonnés] d'un journal reçu dans un café. »
Au lendemain de la révolution de février, ce nombre d'abonnés serait passé à 1 410. Le dimanche 15 février 1852, malgré les difficultés, le ton se veut triomphal : « Le Progrès a été tiré hier à 2 200 exemplaires, à peine quelques numéros sont-ils encore à disposition du public. » Par la suite, les sondages effectués ne nous ont pas permis de trouver d'autres chiffres.
La politique de développement qui est menée traduit probablement la bonne santé du journal. En septembre 1842, il a deux éditions : une du matin pour Arras et Vitry ainsi que pour Cambrai, Douai, Lille, Orchies et Valenciennes, une du soir pour toutes les villes du Pas-de-Calais. À partir du 1er avril, il paraît tous les jours sauf le lundi pour un abonnement unique qui est porté à 40 F par an. Lors de ce changement de périodicité, Le Progrès émet d'ailleurs le vœu que le public apporte son soutien au « seul organe véritablement républicain du Pas-de-Calais ». À l'occasion des élections au Corps législatif en février 1852, il propose un abonnement spécial au prix de 1 F, valable durant la campagne.

VÉRITABLEMENT RÉPUBLICAIN
Le 24 février 1848, Louis-Philippe a abdiqué et le gouvernement provisoire réclame l'établissement de la République. Dans son édition du samedi 26 février 1848, Le Progrès annonce son 29e acquittement : « il a été le dernier sur la brèche, il a enterré les procès de presse, au moment même où le peuple enterrait la monarchie, dont ils avaient servi les colères. »
Le quotidien arrageois a accepté « avec joie la forme du gouvernement qui a triomphé le 24 février et pour laquelle il a combattu pendant dix-huit ans ». Pendant tout le mois de mars, il multiplie les suppléments pour rendre compte au mieux de tout ce qui s'accomplit à Arras. Frédéric Degeorge a été nommé commissaire du gouvernement. En avril, il est élu à la Constituante ainsi qu’Émile Lenglet, avocat de Degeorge et collaborateur du Progrès. Degouve-Denuncques est nommé préfet du Pas-de-Calais, Ayraud-Degeorge, sous-préfet de Boulogne.
Cette fois, le journal est désigné pour l'insertion des annonces judiciaires. À la tête de l'imprimerie, Mme Veuve Degeorge a pris la suite de son mari après la mort de celui-ci en octobre 1846. Elle obtient, après appel d'offres, les travaux d'impression de la préfecture, qui s'élèvent à une quinzaine de mille francs par an. Le Courrier ironise : Le Progrès est devenu la feuille de la préfecture. C'est cependant avec La Liberté que la polémique s'annonce la plus virulente.
Les élections qui suivent ne sont plus aussi favorables pour les candidats du Progrès. Lors de la campagne pour l'élection du président de la République, le journal prend position en faveur de Cavaignac. Il n'a aucune hostilité à l'égard de Louis Bonaparte, mais ce n'est qu'un instrument. « Nous voulons croire à ses bonnes intentions et à sa sincérité, écrit Degeorge. Mais en revanche, nous nous défions, et à bons droits, des partisans de sa candidature. Pour eux, son élection à la présidence n'est pas un but, mais un moyen. Ce qu'ils acceptent en lui, c'est la personnification du principe monarchique. Ils ne le choisissent pas pour les qualités personnelles qu'il peut posséder, ni pour les garanties qu'il peut offrir à la cause de la République régulière et modérée. Non ; ce qu'ils voient exclusivement en lui, c'est le prince, et ils ne veulent lui conférer la présidence que parce qu'ils espèrent bien la convertir bientôt en monarchie. » Cette prise de position lui vaut une attaque en règle de La Liberté qui traite les rédacteurs du journal de « pensionnaires du général Cavaignac ».
Le Progrès rejette le régime, pourtant son attitude à l'égard de Louis-Napoléon est nuancée. « Nous avons su nous séparer dès ses premières tendances impérialistes, […] nous avons constamment combattu dans ses actes hostiles à la Constitution, se défend le journal. Mais le plus coupable envers la République n'est pas le Président, les plus coupables, ce sont ceux dont les hypocrites amitiés, les trompeuses promesses l'ont égaré, lui ont fait peupler nos départements de leurs créatures royalistes, et ont jeté notre pays aux mains des fonctionnaires… »
Pas question d'accepter une révision de la constitution. Au lendemain du coup d’État du 2 décembre, le journal reproduit les documents placardés dans Paris. Sous la rubrique « Pas-de-Calais », il publie la proclamation du préfet, suivie de la relation des événements selon le Moniteur. Protestation bien plus formelle que la vigoureuse dénonciation de Gramain dans L’Écho du Nord, Frédéric Degeorge conclut : « Que chacun fasse son devoir nous ne faillirons pas aux nôtres. » Dès le lendemain, le quotidien est suspendu par arrêté du préfet, Frédéric Degeorge s'enfuit. Son gendre Ayraud-Degeorge, présent lors de l'arrivée de la police dans les locaux du journal, tente en vain d'ameuter les Arrageois, mais doit vite disparaître pour éviter une arrestation. Dans les jours qui suivent, des lecteurs du journal ont également maille à partir avec la police. Tridon, le garde-champêtre d'Izel-les-Hameaux, est ainsi arrêté le 15 décembre.
Cette suspension n'est que l'épilogue de mesures qui tentent d'atteindre le journal pour le réduire au silence. Dès décembre 1849, Degeorge se retrouve devant la cour d'assises de Saint-Omer où il est acquitté. En octobre 1850, il est averti… L'arrivée du préfet Combe-Siéyès, en mars 1851, correspond à une accentuation de la répression contre Le Progrès. Une nouvelle fois, il cumule les procès. Le 30 septembre, il titre : « Un nouveau procès - et de trois ». Le 13 novembre, le tribunal de Saint-Omer condamne Degeorge et le secrétaire de rédaction Dachez à 3 000 F d'amende et huit jours de prison pour compte rendu infidèle et injurieux d'une audience du tribunal de Boulogne. « Des juges ont vengé des juges, jugeant leur propre cause » philosophe Le Progrès. En mai 1851, le journal crie à l'injustice : « Le Progrès condamné à mort par le préfet ». Combe-Siéyès exige de Mme Degeorge, bien qu'elle ne possède aucune part dans la propriété du journal, de renoncer à l'imprimer sous peine de perdre les travaux de la préfecture. Elle refuse. La sanction tombe. Le préfet confie les travaux à des concurrents qui, pourtant, accordent à la préfecture un rabais bien inférieur à celui consenti par Mme Degeorge.

LOUIS-NAPOLÉON SE SOUVIENT…
Le Progrès ne reparaît qu'après deux mois de suspension, le 8 février 1852. Encore a-t-il fallu l'intervention de Louis Napoléon face à un préfet obstiné. Frédéric Degeorge rappelant en juillet 1852 qu'il n'a fait aucune requête, le confirme : « M. le président de la République avait ordonné au préfet du Pas-de-Calais, M. Combe-Siéyès de laisser reparaître le journal à la collaboration duquel il avait naguère collaboré. »
Degeorge a cependant renoncé provisoirement à la direction de son journal. Le nouveau directeur, le caissier Monvoisin, s'en explique dans ce premier numéro de la vingt-cinquième année (2) : « M. Frédéric Degeorge, qui continue à demeurer le principal propriétaire du journal, ajourne à reprendre les fonctions de rédacteur en chef jusqu'à la promulgation de la loi sur les droits de la presse, qui doit fixer les droits et les devoirs des écrivains. »
Le journal restera fidèle à l'esprit dont il a toujours fait preuve, ajoute-t-il pour rassurer ses lecteurs. Seule la signature de Dachez apparaît encore. Lors de la campagne pour les élections au Corps législatif, requis par le préfet, le quotidien publie la liste des candidats du gouvernement : Plichon, Lequien, d'Hérembault, Lefebvre-Hermant et Wattrebled. Crânement, il précise cependant le 28 février : « Nous exécutons la loi, mais Le Progrès ne les recommande pas au vote des électeurs. » Ses candidats se sont Degeorge, Saint-Amour, Degouve-Denuncques. Il peut vanter leur droiture, noter avec satisfaction la « popularité » de son ancien directeur. Aucun d'entre eux n'est élu.
L'intervention de Louis-Napoléon n'est pas une garantie pour l'avenir. L'administration reste vigilante, et Dachez est sous surveillance. Le 2 juillet alors que Degeorge reprend la signature du Progrès, le quotidien annonce pudiquement, après un nouvel incident, le départ du secrétaire de rédaction : « Aux sollicitations plusieurs fois renouvelées d'une mère vieille et infirme qui redoute pour son fils les conséquences de la lutte politique, M. Dachez résigne ses fonctions de secrétaire de rédaction du Progrès. »
Comment le journal ne se réjouirait-il pas du départ de Combe-Siéyès en mai 1852 ? Il exprime sa joie un peu trop bruyamment, qualifiant le fonctionnaire de « préfet le plus nuisible au Progrès ». Son successeur par intérim n'apprécie guère et lui adresse immédiatement un avertissement que le journal assortit d'un commentaire. Il est frappé d'un second avertissement qui, cette fois, reste sans réplique.
Les conditions d'exercice de la presse sont de plus en plus pesantes. La loi de février 1852 a élargi l'arsenal répressif, elle a imposé un supplément de cautionnement. 11 400 F pour Le Progrès qui s'en plaint dès le 5 mars : « la dernière loi sur la presse n'a pas seulement rendu la mission du journaliste plus difficile et plus dangereuse, mais elle a encore augmenté les charges qui pesaient sur les journaux. »
En septembre 1852, Le Progrès voit d'ailleurs l'un de ses adversaires, La Liberté, disparaître. Lui-même est encore averti en octobre 1853. Ayraud-Degeorge a notamment regretté que Frédéric Degeorge n'ait pas été invité lors de la réception offerte à l'occasion du voyage de l'empereur et de l'impératrice à Arras les 22 et 23 septembre.
Le quotidien est en sursis. Malade, Frédéric Degeorge doit être interné en mars 1854. Il meurt quelque quatre mois plus tard. Son gendre qui assurait la cogérance, prend le relais. Cependant le journal ne survit que trois ans à son créateur. Le 5 août 1857, Le Progrès annonce à ses abonnés la fin d'un épilogue judiciaire de plusieurs mois : « Le procureur impérial près du tribunal civil d'Arras nous a fait signifier l'arrêt de la cour de cassation du 4 juillet dernier qui, confirmant un précédent arrêt de la cour de Douai, a ordonné la suppression du Progrès du Pas-de-Calais. » Le lendemain, ses abonnés reçoivent une feuille non politique Le Pas-de-Calais (Cf. notice) dont l'existence sera bien éphémère.

Trois hommes marquent l'histoire du journal. Ils en sont même les rédacteurs cogérants en 1846 : Frédéric Degeorge, Édouard Degouve-Denuncques et Pierre Ayraud-Degeorge. Même s'il n'y est pas continuellement présent, Le Progrès est l'œuvre de Frédéric Degeorge. Il ne quitte son journal que provisoirement notamment lors qu'il est nommé commissaire du gouvernement provisoire en 1848, puis élu représentant à la Constituante, et enfin après la suspension du journal en 1852. Édouard Degouve-Denuncques partage les responsabilités avec lui lors de la fondation du titre avant de devenir directeur du Journal de la Somme. Après une année à Amiens, il revient au Progrès jusqu'en 1848 où il est nommé préfet du Pas-de-Calais. Pierre Ayraud qui, depuis son mariage avec Jeanne Degeorge en juin 1846, se fait appeler Ayraud-Degeorge, occupe une place de plus en plus importante au sein du journal. Il le délaisse provisoirement lors de sa nomination de sous-préfet de Boulogne en 1848, puis de préfet du Var, et lors de son internement en Haute-Vienne après le coup d’État.
Avant son arrivée, d'autres journalistes, ainsi que le laisse apparaître la lecture du Progrès, occupèrent les fonctions de rédacteur en chef : Crépeaux, Victor Courmaceul, Collinet-Deslys,… Parmi les journalistes, rencontrés au gré des sondages effectués dans les collections, on peut citer Julien Caboche, Dachez, Paul Désir, Henry, mais aussi Mannechez, Eugène Dauriac.

(1) Loi du 2 juin 1841.
(2) Lantoine-Harduin, propriétaire de trois actions du Propagateur, conteste cette affirmation. Le Progrès n'est pas la continuation du Propagateur. Il ne peut se prévaloir de tant d'années d'existence, Degeorge n'ayant pas fait profiter les actionnaires du périodique lancé en 1828 des bénéfices réalisés par la seconde publication éditée à partir de 1836.