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AVENIR DE L’ARTOIS (L’)

L’Avenir de l’Artois. Bihebdomadaire de l’arrondissement de Béthune

« À des temps nouveaux conviennent des moyens nouveaux. » Le samedi 31 mai 1919, lorsque ses rotatives se mettent à tourner dans des conditions encore bien précaires, 34, boulevard Thiers à Béthune, Henri David a préféré abandonner Le Journal de Béthune, Le Patriote de l’Artois, et La Plaine de Lens au profit d'un nouveau titre L'Avenir de l'Artois plus symbolique de cette union de tous les Français, de cette espérance née de l’après-guerre.
Non pas que les trois titres dont il est propriétaire aient failli. D'ailleurs il tient à s'en expliquer dans ce premier numéro. Le Journal de Béthune « organe des intérêts agricoles, commerciaux, industriels […] a naturellement cessé de paraître dès le début des hostilités, la vie économique de la région étant à ce moment suspendue ». Le Patriote de l'Artois « pendant les dures journées de la guerre et jusqu'à l'évacuation de [la] ville, n'a cessé de soutenir le moral de [ses] concitoyens. Rédigé constamment à Béthune, sous le feu de l'ennemi, imprimé à Béthune le plus longtemps possible, puis aux environs immédiats de la ville bombardée, il fut durant des années le seul organe véritablement régional, le journal de ceux qui "tenaient" et ne voulaient pas désespérer en l'avenir. » Quant à La Plaine de Lens journal d'une ville « qui n'est plus actuellement qu'un monceau de ruines […], elle ne peut renaître aujourd'hui sous sa forme d'antan ».

L'UNION... SANS LES BOLCHEVIQUES
Le nouveau bihebdomadaire de l'arrondissement de Béthune paraîtra les mercredi et samedi. De format 43 x 59 cm, il est présenté sur six colonnes et est vendu au prix de dix centimes le numéro, soit dix francs pour un abonnement d'un an dans le Pas-de-Calais. Quant à la publicité, elle est de 0,50 F la ligne pour les annonces, 0,75 F pour les réclames et de 1 F en locale.
« La guerre a fait table rase de tout un passé » poursuit David. L'Avenir n'abandonnera pas « les principes d'ordre, de moralité et de progrès social » qui furent ceux de ses devanciers. L'heure n'est plus aux luttes stériles, elle est à l'union des efforts pour la reconstruction, le retour « à la vie d'abord, la prospérité ensuite, et la confiance en l'avenir. » Et de s'appuyer sur l'exemple de Béthune qui « a, durant quatre ans, donné ce beau spectacle d'une population unanime devant les dangers, les sacrifices, les souffrances » pour émettre un souhait probablement partagé par beaucoup quelque six mois après la fin des hostilités : « Qu'une si belle leçon de concorde ne soit pas perdue. » En tout cas, L'Avenir de l'Artois en formule le vœu « qui, faisant abstraction des discordes d'antan, convie tous les bons citoyens à l'union et au travail en commun, gage des restaurations futures et de lendemains réparateurs ».

La paix laisse rapidement un goût amer : « Ce n'est pas tout à fait celle qu'au nom de la justice nous réclamions » constate, la veille de la signature du traité de Versailles, Marcel Osteux. « Le Boche rampe pour l'instant, mais notre excessive modération lui laisse les moyens de se refaire, de se ressaisir, de se relever menaçant dans un avenir prochain. »
Pour Béthune, l'avenir semble encore plus sombre. Dans un premier temps, la ville n'est pas classée parmi les cités sinistrées. La « supergaffe » s'étouffe Henri David après Osteux : « A Béthune, sur 4 000 maisons existant avant la guerre près de 2 000 sont entièrement rasées et sur les autres, il ne s'en trouve pas dix qui n'ait une blessure plus ou moins grave. Depuis huit mois, on déblaie avec de nombreuses équipes et ce n'est pas fini. » Et puis il y a cette menace sur le retour du 73e RI qui, faute de locaux, pour l'accueillir pourrait quitter définitivement la ville. Des noms circulent déjà pour le recevoir : Hazebrouck, Aire-sur-la-Lys… Il faut un rendez-vous avec Clemenceau pour que les craintes s'apaisent… Il y a bien sûr la crise économique, et encore les exactions commises par les Chinois venus déblayer les ruines, ces « milliers d'affreux macaques couleur safran, paresseux, vicieux, voleurs et assassins ». L'Avenir de l'Artois dresse un tableau effroyable de la situation : « la terreur règne dans tous les foyers. A la tombée de la nuit on n'ose plus s'aventurer dans la rue et il est devenu absolument impossible sans être attaqué de parcourir l'espace inhabité entre deux cités. »
Le journal entretient ses lecteurs dans la méfiance à l'égard de l'Allemagne. En 1919, sous la rubrique « N'oublions jamais », il publie une longue litanie des exactions allemandes puisées dans des carnets de soldats. En avril 1922 encore, Georges Maurevert donne une série de papiers sur l'occupation des « Boches » en 1871. « Eh bien ! Payez maintenant » s’écrie René Gast qui évoque, lui, les réparations et les abandons successifs. Parallèlement, le journal entretient le souvenir des combats et de l'héroïsme des soldats français par la publication d'« éphémérides glorieuses » reprenant les « communiqués officiels de tous les fronts ». Bien des années plus tard, en 1937, il déplore encore que le traité de Versailles ne soit plus qu'un chiffon de papier : « La note déclarant la guerre à la France en 1914 a disparu du ministère des Affaires étrangères. L'original du traité de paix aurait pu aussi disparaître. Après tout, pour ce qu'il en reste ! »
L'Union sacrée a été de courte durée. Dès les élections législatives de novembre 1919, Marcel Osteux retrouve les accents guerriers, prophétiques d'autrefois : « Barrons la route aux bolchevistes » s'écrie-t-il dénonçant ces socialistes qui « savaient que les Allemands préparaient la guerre ». Leur arrivée au pouvoir est synonyme du pire : « Si le succès des élections répond aux espérances des socialistes, nous vivrons bientôt des heures terribles. »
En 1923, Rémy Anselin fustige la création du nouveau bloc des gauches, mettant en garde ses lecteurs contre une nouvelle expérience malheureuse : « Que la seconde ne finisse pas comme la première ». En avril 1928, à l'approche des élections législatives, il récidive : « que les électeurs se souviennent de la faillite des promesses faites par le Cartel des gauches », appelant même à la rescousse Cyr, le rédacteur en chef de La Croix du Nord qui parle « des déserteurs ». L'Avenir de l'Artois rejette la gauche. En mai 1936, il ironise sur l'arrivée de Léon Blum à la présidence du Conseil : « Allons-nous blumardiser ? »
En 1924, il soutient la liste de concentration nationale qui voit l'élection d'Alfred Salmon, maire de Pernes-en-Artois, et de Louis Couée, qui est battu lors des législatives suivantes. De 1928 à 1936, il soutient le député nationaliste Jules Appourchaux. Ses sympathies le porteraient volontiers vers les Croix-de-Feu qui, pendant quelques semaines, y tiennent une tribune.
Chronique régionale, judiciaire, sportive, théâtrale, des jardins ouvriers, causerie financière, le journal balaie tous les champs d'intérêt de ses lecteurs. Le contenu évolue durant toute cette période de l'entre-deux-guerres avec l'apparition de nouvelles rubriques, le « voyage à travers l'actualité », le carnet d'un imbécile de Georges Pineau, membre de l'association des écrivains combattants, les contes de L'Avenir. L'information locale occupe de plus en plus souvent la première page, une annonce de conférence peut y mobiliser deux colonnes. Dans les années trente, un avis mortuaire peut même faire la « une ».

L’ÈRE BASIN
Dans l'immédiat, le programme de L'Avenir de l'Artois se résume en une seule formule « la défense des réfugiés et des sinistrés ». Pour la mettre en pratique, les lecteurs peuvent compter sur Henri David qui n'hésite pas à prendre la plume quand les intérêts de sa ville, de son arrondissement le nécessitent. Sur Marcel Osteux, rédacteur en chef, ancien de La Plaine de Lens, qu'il a quittée lors de la mobilisation en août 1914 pour rejoindre l'armée, toujours prêt à batailler pour une cause qui lui semble juste. De l'éditorial à la rubrique locale, il est, pendant quelques années, omniprésent dans les colonnes du journal. D'autres collaborateurs encore ne sont pas inconnus aux lecteurs des titres qui sortaient des presses de David avant la guerre : Léon Dauchez, Georges Laurence, Jean Silvain, Pol Harduin, Noël Marty, etc. Quelques journalistes lillois y apportent également une chronique : Martin-Mamy du Télégramme du Nord, Dem et Cyr, pseudonymes du directeur de La Croix du Nord, Henri Langlais de La Dépêche de Lille. Quelques nouveaux noms apparaissent qui resteront attachés au journalisme du département comme Rémy Anselin, etc. G. Lhevin suit les exploits du Stade béthunois, mais aussi de bien d'autres disciplines sportives, à moins qu'occasionnellement il ne laisse Léopold Thomas, collaborateur du Beffroi d'Arras, versifier sur la rencontre de boxe Carpentier-Siki en octobre 1924
Au fil des années, quelques journalistes parisiens, travaillant pour des titres souvent proches des milieux catholiques, voire nationalistes : Camille Aymard (La Liberté), Grosclaude (Le Journal), Jacques Bainville (Liberté, Le Petit Journal), Joseph Kessel (Matin), René Gast (Le Petit Journal), Pierre L'Hermite (La Croix), Jean Guiraud (La Croix), Ernest Pezet (Âme démocrate), etc. y apportent un éclairage sur les différents événements qui marquent l'entre-deux-guerres. Des politiques, le sénateur François-Marsal, l'ancien député Paul Reynaud, le député Jules Appourchaux, Tardieu, ancien président du conseil, Hayez, sénateur du Nord, Gustave Guérin, député, Maurice Blaisot, ancien ministre,… donnent très épisodiquement une chronique.
Moins de trois ans après avoir relancé son entreprise, Henri David passe la main à Célestin Basin, ancien inspecteur au Télégramme du Nord. Pendant près de trente ans, il assure le développement du titre, et crée un véritable groupe de presse hebdomadaire.
Le 8 juin 1922, la première photo qui paraît est celle de Mlle Boulanger, reine commerce et de l'industrie de Lens, ceinte de son écharpe dans un décor factice. La semaine suivante, Mlle Boulanger est entourée de ses deux dauphines. Peu à peu l'illustration gagne l'intérieur du journal. A la veille d'abandonner la formule qui fait son succès, L'Avenir de l'Artois, imprimé sur huit pages présentées sur six colonnes, est abondamment illustré.
À partir de 1928, le journal affiche fièrement sous son titre la mention « Quatre éditions ». Depuis 1924, il en comptait deux, celles de Béthune et de l'Allœu. Deux nouvelles sont créées en 1927, celles des trois villes (Bully, Grenay, Mazingarbe) et de Nœux-les-Mines. Basin est à la tête d'un petit empire de presse dans son arrondissement avec Le Journal de Bruay, Le Guetteur de Lillers, L'Avenir d'Auchel, L'Hebdomadaire d'Hénin-Carvin créé en 1932, et L'Avenir de Lens (Cf. notices). Lors du premier congrès de la presse bihebdomadaire et hebdomadaire qui se tient à Rouen en septembre 1932, le patron de L'Avenir de l'Artois est ainsi élu au conseil d'administration de la nouvelle association. « Les années ont passé, elles ont consacré notre organisation de presse. Nous pouvons dire que nous tenons une des premières places de la presse hebdomadaire française à grand tirage » constate avec satisfaction Célestin Basin à l'occasion d'une nouvelle étape dans l'évolution de son journal.
En janvier 1937, L'Avenir de l'Artois et ses satellites adoptent un format plus petit : 35 x 50 cm. « Ce format que nous avons mûrement étudié sera plus commode que la grande feuille difficile à manier. La lecture sera facilitée. […] Dans un journal bien clair, les annonces se détacheront mieux, ne pourront échapper à la vue, le but cherché sera généralement atteint. » Forte de huit à dix pages, l'édition de Béthune est abondamment illustrée. La modernité n'empêche pas la fidélité aux racines. De chaque côté d'un titre à la graphie plus moderne, le journal revendique sa filiation avec Le Patriote de l'Artois créé en 1901 et Le Journal de Béthune fondé en 1848.
En mars 1920, moins d'un an après sa création, L'Avenir de l'Artois atteint un tirage de 10 000 exemplaires (1). À la veille de la Seconde Guerre, son audience s’est accrue .
Le 3 septembre 1939, le journal, qui annonce l'entrée des troupes allemandes en Pologne et la mobilisation générale, paraît sans photo. Le jeudi 7 septembre, sa pagination tombe à quatre pages. À la une, les communiqués officiels et un éditorial « Nous gagnerons ». La censure sévit parfois, la périodicité de l'édition béthunoise devient hebdomadaire. Le 12 mai, les lecteurs apprennent que les Allemands ont violé la neutralité du Luxembourg, de la Hollande et de la Belgique. L'ennemi a franchi la frontière. Le journal paraît pour la dernière fois le 19 mai 1940. Il porte le numéro 2 154.

LE DERNIER JOURNAL DE BÉTHUNE
« La France a brisé ses chaînes. Vive la France ! Vive la Liberté ! » Après quatre ans de silence, le dimanche 10 septembre 1944, L'Avenir de l'Artois « ressuscite », selon le terme employé dans son éditorial. Au lendemain de l'occupation, il a fait, selon sa direction, « l'objet d'une de ses premières mesures de représailles à Béthune » de la part de l'ennemi qui lui signifie de « boucler immédiatement [ses] presses » (2). Une « mesure d'exception préconçue et motivée » poursuit l'éditorialiste car « l'économie de papier, elle ne se posait nullement en juin 1940, les stocks étaient intacts et l'ennemi, en pleine euphorie de sa guerre éclair, ne barguignait pas pour donner aux journaux de son choix le papier dont ils avaient besoin. »
Vendu 1 F, ce premier Avenir de l'Artois de l'après-guerre porte le n° 2 156. Malgré une pagination réduite, sa physionomie est restée la même. Dans un hymne à la Libération, le journal évoque sa situation : « Nous disposions d'une organisation qui englobait toutes les communes de l'arrondissement de Béthune et qui avait été perfectionnée d'année en année : tout est à refaire. Notre personnel est dispersé. Nous avons perdu le contact avec nos lecteurs, avec nos vendeurs, avec nos clients de publicité. Nous sommes riches en un mot de notre expérience, de notre foi dans les destinées du journal, de notre volonté de lui rendre bientôt toute sa force, pour toutes les tâches à accomplir en vue du bien public.
Est-ce assez ? Nous n'avons pas la prétention de le croire. Nous attendons de nos lecteurs, de tout le public patriote une participation effective à l'œuvre de reconstruction que nous entreprenons aujourd'hui. »
Le journal rappelle ensuite à ses lecteurs que « le général de Gaulle est un enfant du Nord ». Il publie l'appel du 18 juin 1940, jour où, dit-il, « la résistance naissait ». Les pages intérieures sont consacrées aux événements locaux et régionaux : la composition du comité de Libération, les derniers jours de l'occupation à Béthune, les funérailles de trois jeunes gens assassinés par les Allemands, le départ du train de Loos, événement dont le journal, comme ses confrères, ne mesure pas encore l'ampleur.
La reprise est difficile. Après une longue période d’inaction, le matériel n'est pas fiable. Le papier manque, à plusieurs reprises le format est réduit. Les lecteurs ne boudent pas le plaisir de retrouver leur journal. De mars à mai 1945, l'éditeur annonce que « le présent numéro de L'Avenir de l'Artois et ses trois éditions spéciales Le Guetteur de Lillers, Le Journal de Bruay et L'Avenir d'Auchel a été tiré à 28 250 exemplaires. « Le 25 août 1945, L'Avenir sort une édition spéciale pour la venue du général de Gaulle à Béthune. Au début des années 50, sa pagination est de 16 pages s'ouvrant sur la revue politique de la semaine, un billet signé Jean Prieud, voire un dessin de Pruvost. Le journal comprend un feuilleton, deux pages de sports, une vaste chronique régionale.
Le 29 juillet 1951, Célestin Basin fait ses adieux à ses lecteurs. Après 30 ans, il cède la place à un jeune journaliste béthunois entré dans l'entreprise trois ans plus tôt, Léonce Déprez : « Nous lui avons remis la direction de L'Avenir de l'Artois ainsi que celle des organes hebdomadaires qui en dépendent Le Journal de Bruay, Le Guetteur de Lillers, L'Avenir d'Auchel. Bientôt L'Hebdomadaire de Carvin-Hénin et L'Avenir de Lens dont la publication avait cessé en mai 1940 comme les précédents, reparaîtront avec la nouvelle direction.
… notre organisation de presse est entrée dans sa cent-quatrième année de son existence. C'est dire qu'elle s'identifie avec la région elle-même dans ses extensions et progrès de tous ordres. »
Après la disparition, le 14 février 1953, du Béthunois qui à la Libération avait succédé au Petit Béthunois, L'Avenir de l'Artois est désormais le dernier périodique édité dans la cité de Buridan. En 1957, le groupe s'enrichit de nouveaux titres : Les Échos du Touquet et Montreuil Hebdo, mais vingt ans plus tard, L'Avenir d'Auchel, Le Journal de Bruay et Le Journal de Lillers fusionnent avec L'Avenir de l'Artois.
La Voix du Nord fait son entrée dans le capital de cette entreprise familiale en 1988. Une dizaine d'années plus tard, elle devient propriétaire de l'hebdomadaire qui est alors imprimé à la Presse flamande à Hazebrouck. En septembre 1999, le journal quitte ses locaux historiques du 32, boulevard Thiers pour s'installer rue de la faïencerie qu'il abandonne ensuite pour la rue Clemenceau.
En 2007, de format 28 x 42 cm, L'Avenir de l'Artois comprend une moyenne de 56 pages. Diffusé à 11 126 exemplaires, il a plusieurs éditions : Béthune, Lens, Artois.

(1) AD du Pas-de-Calais. 10 T 7 : note du préfet au sous-secrétaire d’État aux Finances le 24 mars 1920.
(2) La direction du journal fera une demande de reparution auprès de l’occupant, mais se heurtera à une fin de non-recevoir.