← Retour

Petit Bapalmois (Le)

Le Petit Bapalmois. Revue locale des mobilisés de Bapaume

Le 1er septembre 1939, le gouvernement français décrète la mobilisation générale. À Bapaume, cité de quelque 3 000 habitants, plus de 200 hommes quittent leur foyer pour accomplir leur devoir. Le temps de connaître leur affection et Gaston Dégardin (1), propriétaire d'un duplicateur, leur adresse un petit journal afin qu'ils gardent le contact entre eux. Dactylographié sur des pages de format 21 x 27 cm, le premier numéro du Petit Bapalmois. Revue locale des mobilisés de la ville de Bapaume sort dès septembre 1939.

LE TEMPS DE LA GUERRE
Le gérant et imprimeur - mais aussi probablement unique rédacteur - s'explique sur ses intentions : « Je n'ai pas la prétention de remplacer la correspondance de vos épouses ou de vos mères, je la compléterai peut-être seulement, sur les menus faits qui se déroulent dans Bapaume, pour que vous participiez encore à sa vie. Mais surtout, je m'efforcerai de centraliser les nouvelles des mobilisés pour en donner connaissance à tous. »
Décidé à diffuser ce journal gratuitement « en autant d'exemplaires que de mobilisés », il s'engage pour toute la durée de la guerre. Il compte sur la générosité de quelques concitoyens pour lui fournir encre et papier. Dès son troisième numéro, Le Petit Bapalmois est en effet diffusé à 224 exemplaires et atteint quatre pages. La différence de qualité de papier d'un numéro à l'autre, la couleur de l'encre qui passe du noir au violet laissent supposer que l'appel du gérant a parfois été entendu.
Les alertes, le passage de convois militaires, les funérailles de quelques vieux Bapalmois, etc. constituent encore l'essentiel de la vie de la petite cité, à peine troublée par la foire aux aulx qui, cependant, n'a pas eu son aspect habituel. Tous ces événements sont évoqués, en quelques lignes, par le journal qui consacre l'essentiel de ses pages aux messages des mobilisés.
L'initiative de Gaston Dégardin est chaleureusement accueillie. Chacun donne de ses nouvelles et le gérant reconnaît que « La mise en page du Petit Bapalmois est peut-être un peu tassée et inélégante, mais c'est pour pouvoir en dire long sur chaque feuille. » La publication n'a pas de périodicité définie. La parution est bimestrielle en octobre, novembre et décembre. Chaque numéro est daté. Un même numéro peut comporter deux versions légèrement différentes : l'une datée avec précision, l'autre mentionnant simplement le mois. En 1940, Le Petit Bapalmois devient mensuel mais l'invasion semble mettre un terme à son existence qui se termine en avril. Chaque livraison comporte un numéro et son année d'existence. Un détail qui suscite l'interrogation d'un lecteur. « Il m'a été demandé, écrit Gaston Dégardin, si je pensais que la guerre allait durer si longtemps pour avoir mis en haut du Petit Bapalmois : 1re année. » Et de s'empresser de répondre « Que non ! mais cette indication est réglementaire pour toute publication. »

LE PETIT Bapalmois ET ANASTASIE
À plusieurs reprises, le journal subit les contraintes de la guerre. Dès sa deuxième livraison, il connaît les foudres de la censure. « Je pensai pouvoir vous donner dans ce numéro et les suivants, l'adresse de tous les mobilisés de Bapaume pour vous permettre de correspondre les uns avec les autres, écrit son gérant. Hélas certaines indications de régiments et de secteurs postaux pourraient être précieuses à l'ennemi si un Petit Bapalmois tombait dans les mains d'un de ses agents et la censure - car votre babillard a l'honneur de passer chez Anastasie - ne pourrait pas en laisser imprimer la liste. » Et à chaque fois, Dégardin de remplacer le texte « caviardé » par le dessin d'une paire de ciseaux en action et la mention « censuré ».
En avril 1940, le journal est obligé de changer de gérant. « Ce n'est pas que les "affaires" du Petit Bapalmois aillent mal, écrit Gaston Dégardin, mais il change quand même de gérant. La raison en est fort simple, c'est que le précédent gérant n'a pas été autorisé par son chef de corps à continuer à signer votre petite revue. » L'imprimeur vient-il d'être subitement mobilisé ? En tout cas rassure-t-il ses lecteurs, « Ne vous en faites pas, il n'y aura rien de changé pour cela, Le Petit Bapalmois continue et son adresse n'est pas modifiée. » Mme Gaston Dégardin, rue de la République à Bapaume, prend le relais et signe cet ultime numéro.

LES HONNEURS DE LA PRESSE PARISIENNE
Pendant huit mois, Le Petit Bapalmois a donné l’état civil de la cité, il n'a oublié aucun accident, il a rendu compte des matches de football qui ont pu y avoir lieu. Il a transmis tous les messages que lui ont envoyés les mobilisés, a annoncé fièrement leurs distinctions, leurs permissions. Dans son dernier numéro, il a eu à déplorer la mort d'un Bapalmois pour la France. Le député-maire Guidet et le doyen de la collégiale Ledoux s'y sont exprimés chacun à son tour. Dégardin obtient même de Jules Mousseron, le poète-mineur de Denain, l'autorisation de publier deux histoires de Cafougnette dans sa revue. La première, L'fou et s'brouette, dans le numéro de mars 1940 et la seconde, Pauv'Cafougnette, dans celui d'avril.
Le Petit Bapalmois a droit aux honneurs de la presse parisienne. L'hebdomadaire Gringoire lui rend hommage en novembre 1939 ainsi qu'il le rapporte : « M. Clément Vautel (2) rappelle que Roland Dorgelès (3) de l'Académie Goncourt a écrit : "Il faut organiser des services spéciaux qui apportent aux absents des nouvelles du bout de la France pour laquelle il se battent… C'est dans ces feuillets que le combattant trouvera mille détails insignifiants pour d'autres qui soufflent dans l'exil un peu d'air du pays. Et ce qui est vrai pour le village ne l'est pas moins pour le chantier." Et M. Vautel ajoute : "J'ai sous les yeux deux réalisations très réussies de cette idée…" » L'une d'entre elles est bien sûr Le Petit Bapalmois.




(1) Gaston Degardin publiera en 1973 un journal intitulé La Vie quotidienne de Bapaume dans la Première Guerre mondiale (Cf. notice La Gazette de Bapaume à midi).
(2) Journaliste au Journal.
(3) C'est dans un article de Gringoire que Dorgelès popularise l'expression « Drôle de guerre ».