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Lion d’Arras (Le)

Le Lion d’Arras. Journal de siège. Organe hebdomadaire d’union atrébate

Devient : Le Lion d’Arras. Journal franco-britannique du front d’Arras.- Puis : Le Lion d’Arras. Organe hebdomadaire d’union atrébate.- Puis : Le Lion d’Arras.- Puis : L’Artois renaissant, organe de relèvement de l’Artois dévasté.- Puis : L’Artois renaissant

Sauvée de l'occupation en septembre 1914, Arras est écrasée sous les obus allemands. L'hôtel de ville n'est plus que des décombres, le beffroi s'est écroulé, la cathédrale est éventrée, le palais Saint-Vaast a été incendié,… Dans la « ville martyre », la vie continue pourtant pour quelque 1 200 civils (1). À partir du 1er janvier 1916 paraît même « un nouveau journal […] pour une ville qui n'en a plus », Le Lion d'Arras. Ce « journal de siège, organe hebdomadaire d'union atrébate » a l'ambition de « donner une autre vision d'Arras que celle qu'en remportent les journaux », de parler d'« Arras pour ceux qui y habitent, ceux qui l'ont quittée, mais la connaissent ».

LE LION DE L'OFFENSIVE ET DE LA VICTOIRE
D'un format 32 x 50 cm, présenté sur quatre colonnes, l'hebdomadaire qui sort chaque samedi est orné d'un dessin du lion d'Arras. Debout, la tête tournée vers la gauche, il tient entre les pattes avant la hampe d'un étendard flottant au-dessus de sa tête, la patte arrière droite est posée sur un casque prussien. Sous ce dessin, une maxime « Pour la cité, pour la patrie, tenir ».
Les bureaux du journal sont installés rue des Balances à Arras, mais l'impression du premier numéro a lieu à Boulogne-sur-Mer, dans les locaux du journal La France du Nord. Si l'on en croit les mentions légales, il aurait ensuite possédé son propre atelier de fabrication, 6, rue des Balances, avant d'être, après un bombardement, à nouveau fabriqué à Boulogne-sur-Mer. Il est rédigé par des collaborateurs dont, est-il précisé, aucun n'est rétribué : « Les bénéfices qui pourront être réalisés serviront à développer et à illustrer le journal ».
Dans ce premier numéro, la rédaction, dirigée par l'abbé Aimé Guerrin, annonce le contenu du périodique : « outre la chronique générale de la guerre, Le Lion proposera une chronique régionale ; une chronique atrébate détaillée avec un reportage exact des bombardements quotidiens ; les événements militaires du front d'Arras que tolérera la censure ; l’état civil d'Arras et celui des Atrébates dispersés ; le nom de nos soldats tués, blessés, prisonniers ; les citations, décorations, promotions ; des articles rétrospectifs sur la guerre à Arras ; des notices biographiques sur les principales victimes du bombardement ; le compte rendu des réunions des divers groupements atrébates, la liste des groupements, leurs sièges, l'heure des réunions ; l'adresse actuelle des Atrébates dispersés ; des souvenirs du vieil Arras ; des études sur toutes les questions intéressant la vie d'Arras, ravitaillement, indemnités, etc. ; tous les articles publiés sur Arras par la presse française et étrangère - avec observations critiques… des pages de nos écrivains et poètes attestant le génie français ; un feuilleton d'actualité. »
Dès son deuxième numéro, l'hebdomadaire est illustré par un portrait du général Douglas Haig, nouveau commandant en chef des forces anglaises en France, et d'une carte destinée à « faciliter la compréhension des opérations militaires passées et futures autour d'Arras ». À plusieurs reprises, il est ainsi agrémenté de photos, de dessins, notamment des monuments de la capitale de l'Artois. La présentation du journal évolue au cours des mois. À partir du 5 juillet 1916, la têtière prend de l'ampleur, le dessin se fait plus triomphant : « Le lion qui jusqu'à présent bavait la rage impuissante, gronde et montre les dents, l'aigle du casque sent déjà l'étreinte de la griffe. C'est encore le lion de la défense, écrit le rédacteur commentant cette nouvelle illustration, mais c'est déjà le lion de l'offensive et de la victoire. » Les titres courent sur toute la première page…
Vendu au prix de 0,10 F le numéro, il est disponible à Arras chez le gérant E. Davrinche, mais aussi chez plusieurs dépositaires dont la liste est donnée dans le numéro 5 et essentiellement situés place du Théâtre, rues Saint-Aubert et de la Taillanderie.

LE CULTE DE LA PETITE PATRIE
Son succès semble être immédiat si l'on en croit l'article « les raisons d'un succès » paru le 23 février 1916 : « Le Lion d'Arras n'est-il pas une étonnante réalisation de l'Union sacrée, et cela sous les rafales des obus, face à l'ennemi ? Porte-parole d'une ville martyre ne tend-il pas à glorifier tout à la fois le courage civil et le courage militaire ?
Tous ceux qui le lisent savent maintenant que ce journal nécessaire est né d'un sentiment élevé, respectable s'il en fut : le culte de la petite patrie, culte si noble que celui qui le professe n'en a que plus d'amour pour la grande patrie, notre chère France. »
Son audience dépasse largement le cercle des Arrageois restés dans la capitale de l'Artois. Le rédacteur de l'article énumère les différentes catégories de lecteurs de l'hebdomadaire : « les vaillants soldats qui ont défendu et défendent Arras, s'étant épris de la cité suppliciée, s'arrachent le journal qui leur en raconte la douloureuse épopée, les exilés attendent chaque numéro avec impatience, ceux qui ont simplement quelque attache avec la ville se le font expédier en France, à l'étranger. » Avec une certaine fierté, il avoue même une diffusion au-delà des frontières, « beaucoup tiennent à l'adresser à des amis habitant des contrées lointaines, de sorte que nous avons des abonnés non seulement dans un grand nombre de contrées de l'Europe, mais encore dans les cinq parties du monde. » Il est vrai que, de la volonté même de ses fondateurs, Le Lion devient vite un objet de collection. Ainsi, en septembre 1917, le premier numéro en est à sa quatrième édition, pour un tirage total de 6 500 exemplaires.
Dès son deuxième numéro, le journal lance un concours, « le plus beau poème sur Arras », avec en jeu une collection reliée du Lion d'Arras. Pendant des semaines, inconnus ou membres de sociétés savantes, de nombreux Arrageois clament leur amour de leur cité, leur espoir de renaissance. Les poètes Henri Bataille et Émile Langlade apportent leur contribution, l'un célèbre le courage de sa cité Arras, à l'égal de celui Verdun, sa sœur de souffrance : « Reste toujours debout, bravant ses agresseurs. !! / Rayonnant d'avenir, de gloire et d'espérance, / Arras ne fléchit pas ! - Dans sa douleur immense, / Sur ses ruines même, elle crie : “Haut ! les cœurs !!” »
L'autre glorifie le beffroi, symbole de la volonté arrageoise face à l'ennemi : « Debout, Beffroi, debout : Ô vieux beffroi d'Arras / Tu n'es plus le beffroi de nos aïeux hélas ! /… / Oui pareil à toi-même enfin, relève toi, / Pour leur prouver, debout, Étendard de la ville, / Que t'avoir jeté bas fut un geste inutile. »
Du front où il accomplit son devoir, le secrétaire de l'Académie d'Arras, le baron Cavrois de Saternault, envoie trois poèmes accompagnant trois dessins des lions de Belfort, de Lucerne et d'Arras. Pour maintenir le moral des Arrageois, Le Lion fait appel à Déroulède « le grand patriote qui incarna l'espoir inlassable des glorieuses revanches », citant volontiers ses poèmes.
L'hebdomadaire arrageois évoque les combats qui se livrent autour de la ville, la mort des députés Raoul Briquet et Albert Tailliandier, tués par une bombe dans l'hôtel de ville de Bapaume après la libération de la ville en mars 1917, l'entrée du nouvel évêque Mgr Julien en juillet 1917, le voyage du « Tigre au pays du Lion », en mars 1918, qui « n'a duré que trois quarts d'heure »… Le Lion salue l'arrivée des soldats anglais dans le secteur d'Arras en avril 1916 par un enthousiaste « Bonjour Tommy » et une adresse en anglais « To Our Valorous Friends of the British Army ». Jusqu'en janvier 1918, il publie des articles en anglais réalisés par « un journaliste professionnel, correspondant de plusieurs journaux londoniens ». Il n'en suspend la parution qu’après la blessure de son correspondant devant Rœux. D'octobre 1917 à octobre 1918, l'hebdomadaire devient d'ailleurs « journal franco-britannique du front d'Arras ».
À la même date, destinée « aux habitants dispersés de Lens, de Béthune et de Bapaume », la quatrième page accueille L'Artois renaissant. Organe de relèvement de l'Artois dévasté. À partir de novembre 1919, cette page est titré plus simplement L'Artois renaissant.

CENSURÉ, BOMBARDÉ
Le Lion subit, plus d'une fois, les vicissitudes de la guerre. Dès le 24 janvier 1916, il est censuré, la première page paraît avec de nombreux blancs et la mention « supprimé par la censure » répétée sept fois. L'autorité militaire se montre particulièrement scrupuleuse, le numéro 9 daté du 8 mars 1916 est saisi pour défaut de mention de l'imprimeur. Cette censure sévira bien après la guerre, puisque l'un des derniers numéros, le 126e, est encore « caviardé ».
Le 26 janvier 1916, ses installations sont bombardées et sa parution suspendue pendant une semaine. Lors de l'offensive allemande de mars 1918, la pagination est réduite à deux pages. Le journal doit même s'expatrier. Son adresse est fixée jusqu'en juin 1919, rue des Francs-bourgeois à Paris, puis 1, rue Théophile-Gautier à Neuilly-sur-Seine.
L'inflation gagne le pays. À l'occasion de son premier anniversaire, le journal doit lancer « une souscription pour faire face aux dépenses notamment du prix du papier ». Le prix du numéro subit les augmentations imposées par l’État et atteint, en janvier 1920, 25 centimes. Quelles difficultés particulières peut rencontrer ce journal fabriqué loin de sa rédaction ? Ses lecteurs n'en sauront rien.
Faut-il attribuer à la guerre l'excès de précipitation ? En octobre 1917, le journal annonce l'adoption d'Arras par la ville de Philadelphie. Quelques semaines plus tard, il doit s'expliquer sur cette fausse nouvelle.
Le Lion quitte Arras, en mars 1918, alors que, placée sous la menace de l'armée allemande, les Anglais font évacuer la ville. De Paris, où il continue sa mission, l'hebdomadaire salue dès le 4 avril la ténacité franco-britannique, il annonce même « les Allemands battus devant Arras ». Dès lors, il suit passionnément la contre-offensive alliée, titrant en septembre sur « la nouvelle victoire d'Arras ». Le 17 octobre, il peut enfin crier bien haut « Arras est dégagé » et son éditorialiste, Darras - pseudonyme de l’abbé Guerrin - , célébrer « La délivrance » :
« Arras est sauvé. Arras va pouvoir renaître !
Je ne trouve pas les mots pour dire la joie de mon âme.
Heureux les témoins des jours terribles dont la fin vient de sonner.
Heureux les témoins de la bataille qui nous a valu la délivrance
Heureux les exilés, qui, dès à présent, peuvent songer au retour !
Heureux tous ceux qui, durant quatre années, ont gardé, dans la pire détresse, la foi ardente, la foi glorieuse, la foi victorieuse et conquérante, dans la délivrance et la renaissance d'Arras ;
Je ne persiste pas à l'envie de rappeler ce cri d'orgueil, lancé par Le Lion, l'an dernier, à la veille de la première victoire, et répété il y a 6 mois à l'heure de l'évacuation générale et du formidable assaut qui faillit submerger la ville ...
"Ce sera la gloire d'Arras d'avoir vu l'invasion sur son propre sol, la bataille à ses portes, la retraite dans ses rues, la ruine dans ses monuments, l'incendie dans ses foyers, l'insuccès d'efforts qui nous paraissaient gigantesques, et pourtant de n'avoir jamais, pas un jour, pas une heure, pas une minute, Jamais, désespéré de la victoire…"
Que dire de plus ?
Notre cité et nous, ses enfants avec elle, avons conquis l'immortalité.
Unis et confiants, travaillons au relèvement.
Arras va renaître.
… Et l'épopée continuer. »

UN APPEL À L'UNION POUR LA RENAISSANCE
La semaine suivante, Le Lion d'Arras devient « organe hebdomadaire d'union atrébate ». Pour la signature de l'armistice, il a changé son jour de parution. Il songe déjà à l'avenir politique. Il n'expose son programme qu'après son retour à Arras prônant, « comme première condition du relèvement, l'union de toutes les forces intellectuelles, économiques et sociales ». Pour les premières élections municipales, il préconise même « une seule liste sans majorité politique » composée de neuf candidats désignés par la droite, neuf désignés par la gauche et neuf candidats n'appartenant à un aucun parti. En décembre 1919, une liste d'Union nationale est élue, le président Poincaré remet la Légion d'honneur et la Croix de guerre à la ville. Le Lion d'Arras peut être satisfait et tirer sa révérence. Le 1er janvier 1920, après 123 numéros, il fait ses adieux à ses lecteurs. « Le Lion meurt en pleine vie, en pleine force », écrit Darras-Guerrin. Il poursuit : « Il meurt en ayant rempli sa tâche et parce qu'il l'a remplie comme voici quatre ans, à pareil jour, il annonçait qu'il mourrait quand sa tâche serait remplie.
Il meurt après avoir eu l'immense joie de saluer la délivrance, la victoire, l'apothéose et les premiers pas vers le relèvement.
Il meurt après avoir vu 40 000 personnes venir habiter cette ville qui, à l'armistice, n'en comptait pas 400.
Il meurt, mais il laisse auprès de lui de bons ouvriers, des athlètes vigoureux qui, de ses mains, volontairement défaillantes, reprendront le flambeau sacré. »
Une autre bataille est déjà engagée, celle de la reconstruction. L'abbé Guerrin annonce à ses lecteurs qu'« au Lion d'Arras succède aujourd'hui Le Beffroi d'Arras. Au journal de guerre, le journal d'après-guerre… Le Beffroi sera celui du relèvement. »

(1) Recensement de septembre 1915.
(2) Henri Bataille 1872-1922, Émile Langlade auteur notamment de À travers la haine (1904), La Cité triomphale (1914).