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Journal du département du Pas-de-Calais

Journal du département du Pas-de-Calais

Étrange destinée que celle du Journal du département du Pas-de-Calais. Ce périodique est en effet créé en 1816 à un moment où le gouvernement va renforcer son autorité sur la presse, et, il disparaît lorsque, sous la pression des doctrinaires, le régime de la presse s'assouplit grâce au vote des lois de Serre de mai-juin 1819. Pendant trois ans, ce journal fut pourtant un bon serviteur de la cause des Bourbons, arborant fièrement au-dessus de son titre les trois fleurs de lys dans un globe couronné, entouré d'une couronne d'olivier et décoré de la croix de Saint-Louis.

LÉGITIMISTE
C'est le 13 février 1816 que Leducq de Fontaine, imprimeur 9, rue Saint-Maurice à Arras qui a repris l'atelier de son père en 1803 (1), demande au préfet du Pas-de-Calais l'autorisation de publier un journal. Le représentant de l’État émet très vite un avis favorable. Un mois plus tard, le ministre lui accorde l'autorisation.
Dans un prospectus qui paraît quelques jours avant son journal, Leducq expose ses intentions et la nécessité d'une telle publication dans une région qui ne compte que des feuilles d'annonces : « Aujourd'hui que le gouvernement légitime est replacé sur ses antiques bases et qu'avec lui, le calme renaît et l'ordre se rétablit, les journaux ne peuvent plus égarer l'opinion : leur utilité néanmoins se fait sentir plus que jamais pour la propagation des idées justes, des saines doctrines et la publicité des traits de courage et de dévouement qui honorent tout à la fois leurs auteurs et le prince qui en est l'objet.
Est-il, en effet, un moyen plus sûr pour entretenir et accroître même, s'il est possible, l'amour et le respect dont nous sommes pénétrés pour l'auguste monarque qui préside aux destinées de notre belle Patrie ? Ah !... si, malgré l'expérience du passé, il existait encore des hommes qui regrettassent le régime affreux qui a couvert la France de sang et de larmes, la lecture des journaux pourra les ramener à des sentiments plus raisonnables ; car quel est le Français qui resterait sourd à la voix de la Patrie et de l'Honneur. Quel est le Français qui demeurerait insensible, et ne sentirait pas battre son cœur à l'aspect des vertus que Louis-le-Désiré fait paraître sur le trône et au récit des bienfaits qu'il prodigue journellement à ses sujets.
Presque tous les départements du royaume ont un journal particulier. L'expérience en a démontré l'utilité. Ce journal ne saurait être remplacé par ceux de la capitale, ni par aucun autre. Les événements qui se passent loin de nous, en se liant à l'intérêt général, peuvent bien exciter notre désir de les savoir, mais ceux auxquels nous prenons part, qui nous sont propres, et qui nous appartiennent exclusivement nous intéressent davantage, et piquent bien plus vivement notre curiosité.
L'on s'étonne avec raison qu'un pays comme l'Artois, riche, populeux et industrieux soit privé d'un établissement de ce genre qui, en propageant les découvertes nouvelles des arts, les sciences, l'agriculture, etc., ne pourrait manquer d'être à la fois utile et agréable à toutes les classes de la Société. C'est d'après ces motifs et uniquement dans l'intention de faire jouir nos concitoyens des avantages qui doivent en résulter que, cédant au vœu et aux instances réitérées d'un grand nombre de personnes distinguées nous avons pris la résolution de faire paraître, deux fois par semaine, une feuille périodique, sous le titre de Journal du Département du Pas-de-Calais. »
Selon un schéma classique, le périodique sera composé de nouvelles étrangères, de nouvelles de Paris et de l'intérieur « extraites avec choix des journaux les plus accrédités de la capitale », de nouvelles du département, dont Leducq a dit l’intérêt que leur portaient les lecteurs, et, enfin, de variétés.
Le premier numéro sort des presses de Leducq le 1er mai 1816. Le journal paraîtra deux fois par semaine le lundi et le jeudi et le prix de l'abonnement est fixé à 7 F pour trois mois, 12 F pour six mois, 20 F pour l'année.
Ce journal numéroté en continu est imprimé sur quatre pages in-4° (20 x 25,5 cm). Après le titre sur deux lignes, la date et les renseignements utiles sur le prix et les lieux d'abonnement, les informations sont disposées sur deux colonnes séparées par un filet selon le plan annoncé par Leducq dans son prospectus. La quatrième page se termine par les cours de la bourse de Paris. La pagination du journal est parfois augmentée d'un supplément de deux pages.
Les nouvelles locales sont cependant peu nombreuses. Parmi ces petites nouvelles glanées au hasard des numéros, on apprend ainsi le 19 novembre 1816 qu'« un loup affamé rode depuis environ trois semaines sur le terroir des communes de Sainte-Catherine et de Saint-Nicolas (arrondissement d'Arras). Cette bête féroce a déjà plusieurs fois attaqué et endommagé le troupeau de moutons de Sainte-Catherine. Dans les premiers jours de ce mois, il déchira quatre bêtes à laine, sans qu'il parvint à emporter aucune. Cet animal carnassier revint à la charge dans la nuit du 6 au 7. Le mauvais temps avait obligé le maire à faire entrer les moutons à l'étable. Ne trouvant rien au parc, il s'approche du village… »

AH ! L’INGRATITUDE DU POUVOIR
L'existence du bihebdomadaire se déroule sans incident particulier. Moins d'un an après son lancement, le 29 avril 1817, ses abonnés sont avertis de quelques changements : « le bureau du Journal du Pas-de-Calais (sic) est maintenant établi chez M. Boutry, imprimeur à Arras, rue des Capucins, n° 299, et [...] à compter du 1er mai de nouveaux caractères seront employés à l'impression de ce journal.
Nous avons également pris des mesures pour augmenter l'intérêt d'une feuille à laquelle le public éclairé a bien voulu faire un accueil favorable et que les autorités ont daigné encourager. »
Le mardi 15 juin 1819, le Journal du département du Pas-de-Calais en est à son 326e numéro. Quelques jours auparavant, la troisième loi de Serre a été votée. Ces trois lois ont supprimé la censure et l'autorisation préalable, renvoyé les infractions en cour d'assises. Une simple déclaration du propriétaire et de l'imprimeur suffit pour publier un périodique.
Pourtant à la 4e page, l'imprimeur du Journal du département du Pas-de-Calais annonce sans véritable explication la disparition de sa publication : « Le bulletin des lois n° 284, qui contient celle du 9 juin 1819, relatives aux journaux ou écrits périodiques, étant parvenu à la préfecture, le Journal du département du Pas-de-Calais ne paraîtra plus : en conséquence, le présent numéro forme le dernier de la collection. » La loi impose désormais le paiement d'un cautionnement à tous les journaux paraissant plus d'une fois par mois et traitant de politique. Ce cautionnement qui doit garantir les frais de justice et les amendes éventuels s'élève à 1 500 F dans une ville de moins de 50 000 habitants comme Arras. Le propriétaire du Journal du département du Pas-de-Calais refuse de le payer et préfère faire disparaître son périodique.
Rappelant sa fidélité à ses engagements, il semble ainsi souligner l'ingratitude du pouvoir : « Nous nous flattons d'avoir rempli, autant qu'il a été en notre pouvoir, la tâche que nous nous étions imposée en publiant ce journal, et d'avoir satisfait également aux promesses contenues dans notre prospectus qui se terminait ainsi Nous donnerons dans toutes les circonstances la preuve de notre soumission aux lois et de notre dévouement au monarque ; enfin, nous ne perdrons pas de vue que la religion et la morale qui consolent l'humanité et qui élèvent l'homme au-dessus de lui-même sont les premiers fondements de la félicité publique.” » L'abonnement du journal se payant à l'avance, il n'oublie pas en guise de conclusion de rassurer ses lecteurs : « Nous allons nous occuper du règlement du compte avec chacun de nos abonnés. »
Enfin puisque l'information prime sur toute autre considération, le Journal du département du Pas-de-Calais se termine avec les résultats de la Loterie royale de France, dont le tirage a eu lieu à Lille le 11 juin 1819 : 32 - 50 - 64 - 14 - 45.

(1) Il le conserve jusqu'en 1827, date à laquelle il le cède à Gustave Souquet.
(2) Edmond Boutry est imprimeur à Arras depuis 1798. Son imprimerie passe aux mains de son fils Hubert Edmond Boutry, en 1832.
(3) Cette loi est la troisième des lois portant le nom du garde des Sceaux Hercule de Serre. Celle du 17 mai était relative aux pénalités pour les crimes et délits de presse, celle du 26 mai à leur poursuite et jugement. Celle du 9 juin portait sur les conditions.