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Abeille de la Ternoise (L’)

L’Abeille de la Ternoise. Journal d’informations régionales de l’arrondissement de Saint-Pol

Devient : L’Abeille de la Ternoise. Journal de Saint-Pol et de son arrondissement, industriel, agricole...

1827 ! Depuis 1957, L'Abeille de la Ternoise revendique avec fierté, sous son titre, cette année comme date de sa création. Une date qui vaut tous les quartiers de noblesse. Un cru qui en ferait l'un des plus vieux périodiques de France. À coup sûr le plus ancien de la région Nord-Pas-de-Calais devant l'Indicateur d'Hazebrouck et L'Indépendant de Saint-Omer.
Le titre L'Abeille de la Ternoise. Journal de l'arrondissement de Saint-Pol n’apparaît pourtant que le 3 avril 1841. L'hebdomadaire affirme d'emblée une ancienneté de douze années. Imprimé par Auguste Thomas, il prend en effet la succession de la Feuille d'annonces de Saint-Pol. Ce supplément au Puits artésien est édité depuis le 15 janvier 1837 par le même Thomas, installé 22, rue de Béthune à Saint-Pol-sur-Ternoise.
Selon une monographie d'Alfred Demont (1), publiée en 1903, l’origine de cette feuille d'annonces remonterait au Journal de l’arrondissement de Saint-Pol. Annonces judiciaires, ventes et avis, fondé le 27 mai 1827 par l'imprimeur arrageois Gustave Souquet, lui-même remplacé en 1830 par le Journal d’annonces administratives, judiciaires et commerciales des ville et arrondissement de Saint-Pol imprimé alors par Th. Massias. L'état des collections aux Archives départementales du Pas-de-Calais ne permet pas de confirmer la filiation entre les différents titres et de corroborer les dires de Demont, tout à la gloire de l'hebdomadaire saint-polois qui fêterait ainsi, en 1903, ces 75 ans. Cependant en 1841, outre cette ancienneté affichée dans les premiers numéros de L'Abeille de la Ternoise, Auguste Thomas qui publie toujours Le Puits artésien annonce à ses lecteurs que « Les abonnés au Puits artésien ont une remise sur le prix de l'abonnement du présent journal. » Jusqu'à la disparition de ce bimensuel littéraire, en décembre 1842, les abonnements pour L'Abeille sont reçus « au bureau du Puits artésien ».

UNE NEUTRALITé PLEINE DE PUDEUR ?
En cette année 1841, le titre est surmonté d'une belle vignette, mais commune à d'autres périodiques portant le même nom. Ce dessin représente, sur fond de paysage bucolique - des arbres et des fleurs - une ruche autour de laquelle virevoltent des abeilles. Un quatrain résume la philosophie du journal : « Au travail commun, diligente / J'apporte incessamment ma part / Et tour à tour douce ou piquante / Je donne ou mon miel ou mon dard. » De chaque côté, est énuméré le contenu du journal, à gauche : Nouvelles. Sciences, beaux-arts, industrie. Chronique des tribunaux. Compte rendu des séances des conseils municipaux, des conseils d'arrondissement et de département ; à droite : mercuriale des marchés du département. Insertions judiciaires et administratives. Avis divers.
« Travailler à la prospérité de l'arrondissement, approuver ou blâmer les actes suivant qu'ils seront généralement reconnus bons ou mauvais tel est le principal but de cette publication hebdomadaire » écrit Auguste Thomas qui poursuit : « Discuter avec soins les intérêts purement locaux, reproduire comme un écho les bruits qui se font entendre de nous, piquer de toutes les manières, sans jamais sortir des bornes du juste et de l'honnêteté, la curiosité publique ; tel est le résultat que nous espérons obtenir. » L'Abeille de la Ternoise est et sera étrangère à toute politique et entend bien s'abstenir de toute prise de position.
Alors que beaucoup de ses confrères sont en butte à la justice pour les motifs les plus divers, son casier judiciaire reste vierge. Les régimes passent, et l'annuaire du Pas-de-Calais mais aussi la police la classent éternellement parmi les journaux non politiques. En janvier 1883, le sous-préfet de Saint-Pol écrit au préfet d'Arras : « L'Abeille de la Ternoise n'est pas politique, c'est une simple feuille d'annonces, ne contenant qu'une chronique locale sous la forme de faits divers, et quelque fois d'un feuilleton sans importance. » Cette neutralité politique n'est d'ailleurs pas toujours du goût des représentants de l’État qui se succèdent à Saint-Pol. En 1911, le sous-préfet qui souhaite lui retirer les annonces judiciaires au profit de l'un de ces concurrents le Journal de Saint-Pol se justifie ainsi : « Je ne discute pas les sentiments républicains du directeur de L'Abeille de la Ternoise […] mais s'il n'a jamais laissé paraître dans son journal qu'il rédige entièrement la moindre attaque contre le gouvernement, c'est à peine s'il ose, en revanche, y prononcer le mot "république". Son souci de rester neutre est tel qu'il va jusqu'à supprimer des discours, prononcés à l'occasion de diverses réunions ou cérémonies, toute allusion à la politique républicaine. (2) »
Les propriétaires se succèdent, la forme de L'Abeille évolue, mais l'hebdomadaire saint-polois reste fidèle à sa ligne de conduite, ne s'avançant que rarement et toujours prudemment sur le chemin de la politique. Dans l'univers très polémiste de la presse du xixe siècle, tout juste le voit-on pris à partie par La Gazette de Flandre et d'Artois en août 1842 (3). À la suite de la publication d'une chronique sur Notre-Dame-Marchaise, le quotidien catholique l'accuse d'attaquer la religion et les pratiques du culte. Cette agression entraîne l'une des rares mises au point du propriétaire Auguste Thomas. Quelques jours après le coût d’État du 2 décembre 1851, L'Abeille se contente de la publication des divers appels au peuple du président de la République. Du débat sur la prolongation du mandat présidentiel qui agitait la presse depuis plusieurs mois, le journal n'avait guère parlé jusqu'à présent. Le 13 décembre, son propriétaire H Warmé fait précéder une revue de presse des journaux favorables à Louis-Napoléon du commentaire suivant : « C'est un devoir pour le journaliste dans les circonstances où nous sommes de faire connaître à ses lecteurs ce qui se dit sur la situation du pays et quelles appréciations en sont faites dans la presse. Nous donnerons donc une revue de presse dans toutes les circonstances semblables, car l'indépendance des opinions suppose la connaissance des faits émise en même temps que l'impartialité de l'historien. »
Après le plébiscite, il se laisse aller à cette confidence justifiée par la ligne de conduite de son journal : « Quant à nous, nous n'avions pas à regretter ce qui a été renversé le 2 décembre puisque nous n'avons cessé de la combattre, puisque nous n'avons cessé de demander qu'une nouvelle constitution fût substituée à celle qui a été déchirée à ce jour. Des partis seuls pourraient y perdre leurs espérances de régner, tandis que la France était sauvée, nous n'avons pas attendu jusqu'au jour du vote pour nous en apercevoir. À nous donc étranger aux partis, à leurs intérêts, aux systèmes exclusifs qu'ils représentent, à nous qui n'avons jamais partagé leurs illusions, il appartenait surtout en votant avec la majorité, d'écrire sur notre drapeau le nom de la France. »

UNE éVOLUTION « SANS MAGIE, SANS MAL »
Présentée, en 1841, sur deux colonnes dans un format 22 x 31 cm, L'Abeille de la Ternoise est vendue au prix de 6 F par an à Saint-Pol et de 7 F dans les autres villes. Rachetée par Henri Warmé en 1845, elle connaît sa première évolution : son épigramme disparaît, mais elle prend un peu plus ses aises adoptant un format 25 x 37 cm et doublant parfois sa pagination pour un prix d'abonnement augmenté à 8 et 9 F.
Seul moyen de gagner de l'espace, le format change à plusieurs reprises. Dans les premières années du xxe siècle, il atteint 43 x 61 cm, ce qui permet de présenter l'information sur six colonnes. Il faut en effet attendre l'entre-deux-guerres pour que la pagination soit régulièrement de six pages. Journal paisible, L'Abeille n'avait pas connu de grandes révolutions, elle n'avait pas pu éviter quelques évolutions nécessaires à l'amélioration du confort de lecture. En 1894, Léon Pétain, son propriétaire, se félicitait du « rajeunissement » de son hebdomadaire, conséquence d'un changement de caractères : « Notre vieux journal, sans magie, sans mal ni douleur et sans marmite, vient de faire peau neuve. Ce fut bien simple. Il lui suffit de se dépouiller de ses vieux caractères et de se pourvoir de caractères nouveaux, tout flambant neufs. » Impossible, cependant, en feuilletant les collections, d'en savoir plus sur l'évolution technique de l'hebdomadaire. La graphie du titre évolue, l'imprimerie adoptant en 1853 des caractères ombrés.
Le prix de l'abonnement connaît plusieurs fluctuations. Le 1er janvier 1892, son propriétaire annonce, comme un « grand sacrifice », l’abaissement du prix. Il est désormais fixé à 5 F par an pour Saint-Pol, 6 F pour le Pas-de-Calais et les départements limitrophes, 7 F pour les autres. Ces nouveaux tarifs résultent à la fois de la volonté de l'éditeur d'« être agréable à [ses] lecteurs et de l'augmentation du nombre des abonnés ».
Installée à l'origine 22, rue de Béthune, L'Abeille déménage, en 1853, 11, Petite Place. Alors que François Becquart, originaire de Montreuil-sur-Mer, a succédé à Henri Warmé, elle revient rue de Béthune, mais au numéro 11. À l'aube du XXe siècle, elle quitte la rue de Béthune pour le 2, boulevard Carnot.
Plusieurs propriétaires ont déjà succédé à François Becquart : en octobre 1891, Dépret-Plouvier, originaire de Barlin ; en juillet 1898 Léon Pétain, de Saint-Pol. Arrivé en 1907, Jean Dubois occupe la direction jusqu'en novembre 1949.
Ces propriétaires, imprimeurs et gérants, furent probablement les uniques rédacteurs de l'hebdomadaire. Ils étaient entourés de nombreux collaborateurs occasionnels, érudits locaux, membres du syndicat agricole : l'avocat Billet, Ernest Phrarond, A. Demont, etc.
A partir de 1883 et jusqu'à sa mort, le linguiste Edmond Edmont (4) est l'un des plus fidèles collaborateurs du journal avec ses éphémérides historiques de la ville et des environs de Saint-Pol, ses articles sur le vocabulaire saint-polois, sa galerie ternésienne, etc. Sous le pseudonyme d’Echl Echaim ou les initiales E.E., il signe une chronique en patois intitulée « Par chi par lo » qui se poursuit jusqu'en 1925. L'hebdomadaire utilise également les compétences de journalistes dont les articles sont reproduits dans d'autres titres.

DE 110 à 13 000 EXEMPLAIRES
Sa neutralité politique, la collaboration d'érudits et de nobles locaux suffisent-elles à lui assurer une large audience ? Le pouvoir préférant s'intéresser aux journaux politiques, il n'est pas aisé de la mesurer et d'en suivre l’évolution. Les rapports de police sur L'Abeille de la Ternoise ne sont pas nombreux aux Archives départementales du Pas-de-Calais. En 1879, alors qu'elle n'a aucun rival local, le sous-préfet de Saint-Pol évalue son tirage à 110 exemplaires. Trois ans plus tard, en 1882, les progrès seraient spectaculaires, les abonnés seraient 372. En 1885, la police situe son tirage entre 390 et 410 exemplaires. À partir de 1900, L'Abeille voit arriver deux concurrents : Le Petit Saint-Polois et Le Journal de Saint-Pol qui chassent sur le terrain politique (Cf. notices). Si la police les observe, elle ignore délibérément le doyen des hebdomadaires de Saint-Pol qui se garde bien de prendre parti dans la polémique virulente qui oppose les deux rivaux.
Après la Première Guerre, elle voit passer d'éphémères concurrents. Afin de diversifier son contenu grâce à une pagination plus importante, l'imprimerie est dotée d'une presse typo Marinoni qui fonctionnera jusqu'en 1965, date d'arrivée de l'offset (5).
En 1939, au moment de la déclaration de guerre, elle est l'unique journal édité à Saint-Pol. Le 30 septembre, L'Abeille cesse sa parution. « La guerre, écrit Jean Dubois, nous a privé de tout le personnel affecté à la composition du journal. […] Nous ne pouvons continuer. Nous arrêtons. » Les semaines passent et la France s'installe dans la « drôle de guerre ». Le 6 janvier 1940, l'hebdomadaire de Saint-Pol reparaît. « Malgré les difficultés matérielles et techniques auxquelles nous nous heurtons, se justifie le directeur, nous n'avons pu résister aux sollicitations réitérées de nombreux lecteurs. » D'ailleurs il est plutôt optimiste : « la fin lamentable et piteuse du Graf von Spee et du Colombus (6) prouve que les boches sont touchés dans leurs forces vives, dans leur puissance matérielle, dans leur moral. » Et de prêcher la confiance dans la nation « capable devant le danger de tous les sacrifices », dans l'armée « groupée avec ferveur autour de son chef remarquable, le généralissime Gamelin. » Les lecteurs de L'Abeille n'apprendront rien de l'invasion par leur journal. Après le 18 mai, elle disparaît. « Les Boches étaient à nos portes. Ils allaient mettre la main sur L'Abeille, l'utiliser à des fins honteuses, antinationales, antifrançaises, nous l'avons sabordée » écrit le 30 septembre 1945, après soixante-quatre mois de silence, Jean Dubois.
Depuis l'hebdomadaire poursuit sa route. Il a connu bien des bouleversements techniques : l'introduction de la photographie, le passage à l'offset, puis au format tabloïd, l’apparition de la couleur… Grâce à l'arrivée de journalistes à partir de 1957, son contenu s'est étoffé. Il a changé plusieurs fois de main : Jean Dubois laisse la place à Bernard Leclercq en novembre 1949, Paul Rohart prend sa succession en 1957.
Après avoir fortement progressé à partir des années 1960, son tirage est en 2006 d'environ 13 000 exemplaires diffusés sur le Ternois, l'Hesdinois et le Doullennois. Installée, 3 place de l'Hôtel-de-Ville, L'Abeille de la Ternoise a été rachetée par Jean-Louis Prévost, ancien Pdg de La Voix du Nord, allié à Sogemédia (groupe L'Observateur).


(1) Cette monographie paraît en plusieurs parties à partir du 22 août 1903. La numérotation des différentes parties comprend une erreur. La collection de L’Abeille conservée aux Archives départementales du Pas-de-Calais est incomplète et ne permet pas de lire entièrement cette monographie qui a cependant été publiée par la suite sous forme de brochure par l'imprimerie de L'Abeille de la Ternoise sous le titre L'Abeille de la Ternoise. Journal de Saint-Pol et de son arrondissement depuis sa fondation en 1827 jusqu'à nos jours. Elle est consultable aux AD du Pas-de-Calais.
(2) Lettre du sous-préfet de Saint-Pol au préfet du Pas-de-Calais, 23 mai 1911. AD du Pas-de-Calais 10 T 22.
(3) La Gazette de Flandre et d'Artois du 28 août 1842.
(4) Il est l'auteur d'un dictionnaire du patois saint-polois.
(5) Témoignage de Marcel Hayart, instituteur, collaborateur de L'Abeille, fourni à l'auteur en 1998.
(6) Cuirassé allemand qui attaquait les navires marchands alliés dans l'Atlantique sud, sabordé par son commandant, après une bataille avec la marine anglaise.