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Croix du Pas-de-Calais (La)

La Croix du Pas-de-Calais

Devient : La Croix du Pas-de-Calais. Supplément à La Croix de Paris

Le 26 mars 1889, un peu plus d'un an après le lancement du premier supplément local de La Croix de Paris, se réunit le congrès des Comités de diffusion du quotidien catholique, publié par les Assomptionnistes depuis 1883. Le journal compte déjà dix-sept suppléments dont, depuis le 20 janvier, La Croix du Pas-de-Calais (1). À Arras, ce périodique marque le début d'une chaîne de publications aux titres variables, mais portant toujours la marque de la croix.
De format 31 x 46 cm, le nouvel hebdomadaire, présenté sur quatre colonnes, comprend quatre pages. Il a pour titre complet « La Croix du Pas-de-Calais et La Croix du dimanche de Paris, les deux cinq centimes ». À côté du titre, sur fond de paysage, un crucifix avec la devise latine « Christus vincit ». La publication comprend quatre pages. Symboles des liens existant entre le périodique artésien et le quotidien parisien, les prix de l'abonnement à La Croix de Paris, et à La Croix et ses suppléments figurent en bonne place sur la première page.
Le siège du journal est situé rue des Murs-Saint-Vaast à Arras et les premiers numéros sont imprimés chez la Veuve Schoutheer-Dubois, 53, rue des Trois Visages. Le 25 août, l'hebdomadaire délaisse l'imprimerie arrageoise pour l'imprimerie générale Rousseau-Leroy et Cie à Amiens. À l'occasion d'un changement de format (39 x 57 cm) et d'une présentation sur cinq colonnes, la fabrication revient à Arras à l'imprimerie de Sède et Cie, rue du Vent-de-Bise, propriétaire du Courrier d'Arras. Quelques articles signés mis à part, les indications sur la rédaction sont plutôt rares. Par contre, la loi l'exigeant, le nom des gérants est connu. La fonction est exercée successivement par P. Martinville et L. Cocq.

SON DRAPEAU : LA RELIGION
À travers des différents éditoriaux qui peuvent être suivis à partir du 7 avril 1889, date du premier numéro conservé aux Archives départementales du Pas-de-Calais, La Croix du Pas-de-Calais se déclare « journal franc, loyal et indépendant, sans parti, s'adressant à tous les partis ». Le 14 avril, tout en s'indignant du « spectacle le plus hideux et le plus dégoûtant » que « la France révolutionnaire donne dans ses assemblées politiques » elle affirme « comme toutes ses sœurs, ne [...] point [faire] de politique » !
Son drapeau ! « C'est celui de la Religion sur lequel est inscrit : Dieu et la France » clame-t-elle à quelques semaines des élections législatives de septembre. Son combat, elle le mène contre ceux qui attaquent la religion catholique, les juifs et les francs-maçons : « quelle que soit l'étiquette du gouvernement, monarchie, empire ou république, elle attaquera les ennemis des catholiques partout où ils réussissent à s'introduire. » À plusieurs reprises, le journal revient sur ce thème, même s'il cherche parfois à atténuer son propos derrière le respect des personnes : « Il les aime et désire leur bien, leur salut. Donc La Croix respectera toujours le juif, le franc-maçon, nos pires ennemis : mais elle sera sans pitié pour leurs erreurs et ne cessera de s'écrier, tant que juifs et francs-maçons il y aura : catholiques, voilà l'ennemi ! Attention à vos intérêts spirituels et temporels. » Sur le plan local, le préfet Vel-Durand est l'une de ses cibles et le quotidien républicain L'Avenir d'Arras essuie régulièrement ses foudres. La Croix le traite aussi bien de « feuille maçonnique » que de « feuille officielle de M. Vel-Durand, préfet du Pas-de-Calais ».
Au rang de ses ennemis, elle place également la mauvaise presse dans laquelle elle classe les journaux du juste milieu plus dangereux que les organes impies et révolutionnaires : « On veut absolument voir dans notre feuille une déclaration de guerre, c'en est une, en effet, mais contre la mauvaise presse… »
Apolitique, La Croix ? La République ne trouve pas grâce à ses yeux. Ses éditorialistes la qualifient de « boulet » que doivent traîner les Français, « de pouvoir anarchique » sous lequel ils sont courbés depuis trop longtemps... Les lecteurs de La Croix forment donc une « armée nombreuse et vaillante qui peut contribuer largement à débarrasser notre pauvre France du joug honteux et ruineux qu'elle subit depuis dix ans (2). »
Lors des élections cantonales de juillet-août 1889, elle se lamente : « le Pas-de-Calais paraît arriver ainsi à la République quand de toute part, on se détache de ce mauvais gouvernement. » Le général Boulanger a lui-même été élu dans plusieurs cantons. Il sera peut-être, remarque le journaliste Robert Stelle « le balai dont la Providence se servira pour nettoyer la pourriture dans laquelle nous sommes empêtrés jusqu'au cou. » Même si La Croix du Pas-de-Calais voit en Boulanger un instrument pouvant servir ses desseins, le général ne peut être la solution. En août 1889, le vicomte de Bizemont, personnage omniprésent dans l'histoire de la future La Croix d'Arras, répond aux détracteurs du journal : « La Croix ne saurait soutenir un homme qui fut l'auteur de la loi militaire (3) et espère à l'occasion profiter du divorce. Mais il est juste d'ajouter que, comme les chiffonniers, nous faisons un choix dans les tas d'ordures. […] Cela ne veut pas dire que nous soyons partisans ou admirateurs de l'expulseur des princes, mais bien que nous aimions mieux le balai que les matières qu'il expulse. »
Déplorant l'émiettement des forces de droite, La Croix du Pas-de-Calais semble prôner la constitution d'une grande organisation catholique à l'exemple du Zentrum en Allemagne : « Il faut, écrit Paul Saint-Emme en août 1889, nous le répétons, la constituer sur le large terrain catholique.
La gueuserie libérale en Belgique et l'absolutisme en Allemagne n'auraient jamais reculé, s'ils n'avaient trouvé devant eux le catholicisme groupé en parti politique. Nous aurons la force des catholiques belges et allemands quand nous saurons les imiter. »

VICTIME DU RACHAT DU COURRIER
Les Archives départementales du Pas-de-Calais ne possèdent plus de numéro au-delà du 29 décembre 1890. Rien n'annonce une cessation de parution. Imprimée par la Société de Sède et Cie, propriétaire du Courrier, La Croix du Pas-de-Calais fut-elle victime du rachat de ce journal par la Société du Pas-de-Calais, dirigée par P.-M. Laroche (4) ? Celle-ci sacrifie son quotidien, Le Pas-de-Calais, au profit du Courrier, mais elle possède encore un hebdomadaire, lui aussi défenseur de la cause catholique et royaliste, et qui bénéficie d'une certaine sympathie parmi le clergé. Elle ne souhaite peut-être pas aider un rival possible en l'imprimant. L'hypothèse peut-elle être retenue ?
La Croix d'Arras, de l'Artois & des pays houillers dont le projet semble déjà à l'étude sera imprimée lors de sa parution en juin 1891 par la Société P.-M. Laroche. Tout comme la nouvelle Croix du Pas-de-Calais lors de son lancement.

(1) Cf. Rochefort-Turquin (Agnès), « Les Croix locales de 1888 à nos jours », dans Cent ans d'histoire de La Croix 1883-1983, Le Centurion-La Croix, collection Chrétiens dans l'histoire, Paris, 1988.
(2) L'année 1879 a vu les républicains truster tous les pouvoirs. Après la Chambre, le Sénat est devenu républicain le 4 janvier et Mac-Mahon a laissé la place à Jules Grévy le 30 janvier
(3) Dans le cadre d'une réorganisation de l'armée qui sera adoptée en juillet 1889, le ministre de la Guerre de janvier 1886 à mai 1887 souhaitait supprimer les dispenses au service militaire. Il voulait notamment « mettre les curés, sac au dos ». Ce que ne peut pas lui pardonner la droite, tout comme l'exclusion des cadres de l'Armée des princes d'Orléans.
(4) AD du Pas-de-Calais 1J 1633.