CROIX d’Arras, de l’Artois et des pays houillers (La)
La Croix d’Arras, de l’Artois et des pays houillers. Supplément hebdomadaire à La Croix de Paris
Un format identique, le même crucifix à gauche du titre, une présentation similaire sur quatre colonnes, en 1891, La Croix d'Arras, d'Artois & des pays houillers « supplément hebdomadaire à La Croix de Paris » ressemble étrangement à La Croix du Pas-de-Calais, imprimée à Arras en 1889. Seule la formule latine « Christus vincit » a été remplacée par une traduction française « Le Christ vainqueur ».
C'est d'ailleurs au siège de son prédécesseur 5, rue des Murs-Saint-Vaast que sont installées l'administration et la rédaction de cette nouvelle Croix d'Arras. Elles ne le quitteront qu'en 1895 pour le 4, rue de Châteaudun.
Vendu cinq centimes et daté du dimanche, l'hebdomadaire est imprimé chez Laroche, 41-43, rue d'Amiens à Arras. Le premier gérant est A. Derisbourg. Il est remplacé à partir du 9 septembre 1894 par G. Chalenton, nom qui ne serait, selon la police, qu'un pseudonyme derrière lequel se cacherait Henry Barjavel, administrateur du journal.
De quels collaborateurs dispose ce nouveau titre ? Une grande partie du périodique, « la politique et toutes les nouvelles générales », est une reprise de La Croix de Paris. Les « nouvelles et les questions » qui intéressent l'Artois sont traitées à Arras. La lecture de l'hebdomadaire ne permet pas de découvrir les ecclésiastiques ou les laïcs participant à sa rédaction. Les signatures rares se limitent à des initiales ou des pseudonymes : Touchatout, Silex, DD,…
À L'ASSAUT DE LA CITADELLE JUIVE ET MAçONNE
Ce supplément de La Croix de Paris s'exprime sur tous les grands sujets de l'époque, à l'occasion des événements nationaux, mais aussi locaux. Sa ligne politique ne varie pas de celle de La Croix du Pas-de-Calais. Organe de défense de la religion catholique, La Croix d'Arras se caractérise par son antisémitisme, sa haine des francs-maçons et des athées : « Lecteurs de La Croix, nous sommes les cadres de l'armée catholique […] pour monter à l'assaut de la citadelle où sont retranchés les juifs, francs-maçons, athées et autres malfaisants qui nous oppriment. » Les uns comme les autres cherchent à faire disparaître la religion catholique. Le journal met en garde ses abonnés, ils ne doivent pas favoriser les ennemis de l’Église. Il les appelle à boycotter les commerçants juifs autochtones : « les catholiques - les dames surtout, - font leurs achats chez les juifs, sous prétexte qu'ils vendent meilleur marché, et que leurs magasins sont mieux assortis. C'est une erreur. »
Lors des différents scrutins, il les alerte sur la portée de leur choix : « Voter pour des candidats francs-maçons ou amis des francs-maçons, quand on est catholique, c'est voter pour l'étranglement, à bref délai, de notre Mère, la sainte Église catholique. » En mai 1896, lors des élections municipales, la consigne est claire « éliminer les noms des francs-maçons et des sectaires ». Comme tous les organes catholiques, elle se dit scandalisée par les obsèques nationales faites à Jules Ferry, qu’elle appelle « le grand ami de l'Allemagne », mais surtout « l'auteur des expulsions et des laïcisations ». Elle félicite même les députés socialistes Basly et Lamendin qui ont voté contre cette décision.
L'hebdomadaire arrageois voit l'empreinte des juifs et des francs-maçons derrière tout ce qui porte atteinte aux droits de l'Église, mais aussi dernière chaque scandale ou remise en cause de l'ordre social. Lors de l'affaire de Panama, il accuse : « Dans cette immense escroquerie […], ce n'est pas la République qui est mise en cause. Ce sont les juifs, les francs-maçons et les libres-penseurs, c'est-à-dire les sans-Dieu. Ce sont eux les coupables. » Le périodique est bien sûr à l'affût de tous les scandales locaux dans lesquels ces groupes sont impliqués, notamment les enterrements civils forcés. Son adversaire désigné est bien sûr le journal républicain L'Avenir « journal de la maçonnerie », « moniteur départemental des francs-maçons, athées juifs et autres bonnets verts ».
La Croix rejette le socialisme, car c'est « la haine de la religion catholique et de l'idée de patrie ». De son développement, elle en rend responsables « ceux qui mènent dans le gouvernement actuel de la République, en France, le mouvement contre les croyances séculaires de notre nation ». Cependant les véritables agents et les bénéficiaires du socialisme sont d'abord les juifs : toujours, ils se partagent les dépouilles des peuples qui se déchirent. La Croix dont l'ambition est de s'adresser aux ouvriers, leur martèle : « Le socialisme est une absurdité, entretenue et dirigée par les juifs, dans le but de favoriser un bouleversement social qui ne profiterait qu'aux juifs, ces sans-patrie par excellence et par principe. »
LA RÉPUBLIQUE FRANCHEMENT ET SANS ARRIÈRE-PENSÉE ?
La Croix se place délibérément dans la fidélité au pape. Lors de la publication de l'encyclique Au milieu des sollicitudes demandant aux catholiques français d'accepter la constitution, elle reprend, en juin 1892, les mots du journal royaliste lillois La Vraie France : « Ayons confiance et allons au pape. Il est la lumière vive qui brille en la confusion de nos ténèbres humaines… » Et son éditorialiste de conclure après cette citation « Comme l'union se ferait vite en France dans l'obéissance au vicaire de Jésus-Christ ! » L'hebdomadaire accepte donc la République. En avril 1892, il l'avait déjà annoncé : « Soumis avant tout aux enseignements du pape et des cardinaux, nous acceptons franchement et sans arrière-pensée la forme du gouvernement républicain. » Ce qu'il revendique, c'est la liberté religieuse reposant notamment sur les droits de l'Église inscrits dans le concordat, la liberté de l'école sans nouvelle laïcisation, le repos du dimanche,…
On l'a vu, La Croix refuse tout bouleversement social. « Mettre en commun le résultat du travail que l’État serait chargé de distribuer à tous les individus constituant la nation » est une fourberie entretenue par les juifs. Cependant, elle ne semble pas insensible à la question sociale. Dans le programme qu'elle présente à l'occasion des élections municipales de mai 1896, elle affirme « Nous ne réclamons que deux choses : la justice et l'égalité de tous et particulièrement pour les ouvriers et les faibles. » À l'occasion de la grève des mineurs, en 1892, le journal ne reconnaît pas les vertus du syndicat dans la défense des intérêts des travailleurs et engage, sur ce terrain, une polémique avec Basly et Lamendin.
DES BATAILLONS NOMBREUX
Le titre semble bénéficier rapidement d'une audience assez large. Il n'a pas un an d'existence lorsqu'il annonce le 6 mars 1892 plus de 6 000 abonnés. Sous le titre « payons nos dettes », La Croix en informe ses lecteurs : « Une promesse est quelque chose de sacré. Le comité de La Croix s'est engagé à faire dire une messe en faveur des âmes du Purgatoire, quand le chiffre de 6 000 abonnés aurait été atteint et à chaque nouvelle centaine. Nous sommes en dette avec les âmes du Purgatoire. Car le chiffre a été dépassé depuis quelques semaines… » La progression se poursuit. En juillet 1893, le commissaire d'Arras écrit au préfet : « Le tirage du journal La Croix qui s'imprime tous les vendredis est de 8 200 exemplaires. »
Depuis décembre 1891, l'hebdomadaire comprend parfois deux éditions : l'une pour Arras et son arrondissement, l'autre destinée au bassin houiller. Dans un avis aux lecteurs paru dans l'édition du 29 novembre, le journal s'en explique : « Pays agricole et pays houiller. Ce sont deux régions distinctes et jusqu'ici La Croix d'Arras a servi les deux sur une même feuille. Désormais, pour parler davantage des questions agricoles à nos lecteurs de l'Artois, nous ferons pour eux une édition spéciale… »
Pour assurer le succès de sa diffusion, La Croix d'Arras bénéficie probablement, à l'instar des autres Croix, de propagandistes particulièrement actifs. En mars 1892, elle lance un appel à ses abonnés afin qu'ils recrutent de nouveaux lecteurs dans leur entourage : « Que d'ici à huit jours chacun de nous trouve un nouvel abonné, celui-ci nous en procurant un ou deux autres, en très peu de temps le terrain sera conquis. Catholiques ! sachons faire un effort pour Dieu et la patrie. » Aussi minime soit-elle, l'incitation peut être financière : « Dix exemplaires à la même adresse 45 centimes par semaine, franco. » Le journal peut également compter sur les desservants des différentes paroisses qui sont ses meilleurs zélateurs.
Ce succès engage probablement ses promoteurs à passer, « pour obtempérer aux ardents désirs manifestés par un grand nombre de [leurs] amis et des meilleurs », à la périodicité quotidienne. En mars 1897 une édition quotidienne est lancée. L'édition hebdomadaire continue sa carrière selon l'information donnée aux lecteurs alors que La Croix d'Arras, de l'Artois et des pays houillers entre justement dans sa septième année d'existence.