Commune d’Auxi-le-Château (La)
La Commune d’Auxi-le-Château. Organe local de la révolution constructive pour l’abondance dans la liberté
La Commune d'Auxi-le-Château ! Cette publication n'a rien d'un bulletin municipal. Au contraire, la référence au gouvernement insurrectionnel de Paris est ici explicite. Cette feuille anarcho-syndicaliste de deux pages, imprimée sur le duplicateur du garagiste Labaeye dans la petite commune de l'arrondissement d'Arras, se veut d'ailleurs l'« organe local de la révolution constructive pour l'abondance des libertés ». De format 22 x 32 cm, elle est probablement diffusée gratuitement. Aucun prix n'est mentionné, mais elle précise « accepter toute participation aux frais ».
Publiée quelques mois après la victoire du Front populaire, La Commune d'Auxi-le-Château annonce, dans son premier numéro daté du 5 février 1937, la révolution, « espoir pour les masses laborieuses ». Elle s'en prend aux adversaires de ces masses, les conservateurs, « privilégiés du régime, exploitant ses vices, impuissants à le redresser », et les réactionnaires, aristocrates ou réfractaires au progrès.
« Oui, nous sommes des révolutionnaires », proclame son gérant Labaeye. Et de justifier sa profession de foi : « Tous les vieux piliers du système libéral s'écroulent un à un », « l'abondance est là et le régime actuel est incapable de l'utiliser au profit de la collectivité ». Aussi propose-t-il de « substituer [le capitalisme] par le système du droit à la vie pour tous, vie décente, complète, large où le machinisme, au lieu de bénéficier à une minorité de profiteurs, sera exploité au profit de la collectivité. » Cette révolution devant s'accomplir par la compréhension.
Avec l'arrivée du Rassemblement populaire au gouvernement, La Commune se veut d'abord force de pression : « Pour atteindre tous les objectifs du socialisme, de la coopération, du syndicalisme, il faut agir vigoureusement sur nos partis parlementaires pour les obliger à dissoudre efficacement le fascisme (1) et pour les empêcher de prendre eux-mêmes des mesures fascistes.
En accord avec les socialistes et communistes, nous maintiendrons le gouvernement dans la ligne "Front populaire" qu'il s'est donnée, l'écarterons de l'Union sacrée parlementaire et par tous les moyens, le pousserons à l'action. […] Il faut maintenir la vie politique sur l'axe du 3 mai et dans le calme travailler à l'édification du Socialisme fédératif. »
DéçUE DU FRONT POPULAIRE
Très vite, La Commune s'en prend aux radicaux, dénonçant leur double jeu. Puis c'est la déception, le Rassemblement populaire ne répond pas à ses attentes. « Notre idéal, écrit le gérant du journal, doit être la transformation du Front populaire incapable de pouvoir réaliser les réformes nécessaires à une vie meilleure en Front révolutionnaire, constructif d'un régime nouveau. » Et de stigmatiser la pause préconisée par Chautemps, nécessaire « à rattraper les sous dispensés par les malheureux patrons pour enrichir les insatiables ouvriers qui ne savent plus se contenter d'un bout de pain sec et d'un verre d'eau afin que leurs bienfaiteurs à qui ils doivent de travailler puissent suivre la trace des profiteurs de la Grande Guerre et augmenter le nombre des illustres familles qui représentent ès qualité la véritable aristocratie bourgeoise, la vraie France des Daudet, des La Rocque et des Doriot » comme l'écrit Geuffroy dans Le Libertaire du 19 septembre 1937 repris par La Commune. Le seul socialiste à trouver grâce à ses yeux est alors le représentant de la gauche révolutionnaire, Marceau Pivert.
Fidèle aux idées du gouvernement insurrectionnel de Paris, la publication d'Auxi-le-Château voit dans la commune la base de toute organisation. « C'est de la commune, cellule de base de la nation, précise-t-elle dans son numéro du 16 mars 1937, que doit partir l'action pour aboutir à la fédération organe de coordination. »
Anticléricale, elle s'inspire de La Calotte. « Être anticlérical est le premier devoir de tout bon républicain, peut-on lire dans le numéro daté du 25 mars 1937. Seule une éducation laïque est capable de diffuser la morale humaine où la science et l'amour feront régner à jamais la justice et la fraternité. » Pour elle, le clergé est l'auxiliaire du patronat : « le capitalisme, pour son profit, oppresse les masses, le clergé se charge de faire admettre à la masse ses souffrances par l'espérance d'un monde meilleur. »
Elle dénonce également l'attitude de la grande presse, cette « presse vendue », accusée « de bourrage de crânes ». À plusieurs reprises, le périodique s'en prend au Télégramme, quotidien le plus diffusé dans le département. Aussi conseille-t-elle à ses lecteurs L'Humanité et Le Populaire mais surtout les publications : anarchiste Le Libertaire, pacifiste La Vague, indispensables à tout « homme énergique et décidé [à] faire son éducation révolutionnaire ».
Anticléricale, mais aussi antimilitariste. Le journal préconise de « ne fournir, ni pétrole, ni mazout, ni charbon aux états bellicistes pour arrêter la guerre. » C'est tout naturellement qu'il relaie l'appel à la manifestation de la Libre-pensée contre la guerre le 1er août 1937 à Lorette
Enfin La Commune rejette les élections. En septembre 1937, une partie des Français s'apprêtent à élire des conseillers généraux. Le journal se refuse à prendre part au scrutin : « On va élire des inutiles, des salivards, des arrivistes tout juste bons à gueuletonner avec préfets, sous-préfets et parlementaires. » Le peuple ne vient-il pas d'être dupé ? « Tout le monde sait aujourd'hui, écrit Labaeye, ce que valent les promesses d'avant-scrutin et nul ne peut répondre des actes d'un candidat élu sur un programme, les renégats sont légion. Je ne citerai à ce sujet que le premier article du programme de Front populaire : "Abattre la puissance des banques et des trusts". Actuellement ils sont plus forts que jamais, par suite des dévaluations qui ne devaient pas "être faites" avait dit Léon Blum (2). »
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à LA SOURCE DES JOURNAUX ANARCHISTES
Le principal rédacteur de La Commune est son gérant, Léonce Labaeye. Âgé d’une quarantaine d’années, il est considéré par la police comme « un original à tendances anarchistes ». Garagiste sans client, il « n’est affilié à aucun parti, il a toujours fait de la politique personnelle, sans être candidat à aucune fonction » précise le commissaire de police (3). Un certain Daniel Mortagne y signe également des articles. Tous deux n'abordent que rarement les événements sociaux et politiques locaux. Le numéro 6 reprend le jugement du tribunal des prud'hommes qui condamne une Société d'Auxi-le-Château pour licenciement abusif.
Plusieurs articles sont empruntés au Libertaire. Articles politiques, bien sûr, mais aussi sur les faits de société. En juillet 1937, La Commune reproduit un article du quotidien anarchiste dénonçant « la vaste combine publicitaire » que représente le Tour de France : « Les cyclistes en compétition, les dindons de la farce en quelque sorte, vont pour un prix relativement bas, prouver au monde l'excellence des pneus machin, des cale-pieds chose, sans compter l'incontestable valeur de l'apéritif untel ou du stylographe tartempion. Ils y risqueront sûrement, tel celui qui vient d'en mourir, de se heurter dans un camion porteur de pancartes qui, au nom du fric, aura la priorité. Car bien entendu, seuls les naïfs s'imaginent qu'il s'agit d’une course cycliste. Tout le monde sait bien que les coureurs, dans cette comédie, ne sont que des figurants. » D'autres journaux parisiens contribuent à alimenter les colonnes de la publication d'Auxi-le-Château. En mars 1937, elle est notamment illustrée par un dessin paru dans Le Canard enchaîné.
Fabriquée artisanalement, La Commune le reste jusqu'à sa disparition. Toujours présentée sur une colonne, et reproduite par le duplicateur de Labaeye, la pagination évolue d'une à six pages. Le format varie de quelques centimètres selon les numéros. Il passe à 25 x 36,5 cm au troisième numéro, grandit encore au suivant, 27 x 38 cm, diminue à 21 x 31,5 cm lors de son dernier numéro, le 30 septembre 1937.
La Commune d'Auxi-le-Château aura vécu neuf mois. Les problèmes financiers sont-ils venus à bout des convictions de Labaeye et de ses amis ? Aucune indication n'est fournie sur l'audience du journal et sur l'aide qu'ont pu lui apporter ses lecteurs.
(1) Dans son programme publié en janvier, la coalition de gauche a annoncé son intention de désarmer les formations paramilitaires d'extrême droite.
(2) Le 25, le franc quitte le bloc or. Le 29 septembre, le gouvernement obtient de la Chambre l'approbation de la dévaluation.
(3) Rapport du 6 février 1937. AD du Pas-de-Calais, 10 T 22.