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CARILLON (LE)

Le Carillon. Journal béthunois d’action populaire

À Béthune, les élections municipales de mai 1935 ont laissé des traces. La victoire de la liste de « représentation proportionnelle », composée de socialistes, de radicaux et d'anciens combattants, sur la liste sortante de « concentration » - 15 élus contre 11 - a entraîné Le Petit Béthunois, journal républicain fondé par le docteur Haynaut, dans l'opposition. Tirant les conséquences, la majorité municipale décide le 4 décembre 1935 de créer un mensuel Le Carillon. Journal béthunois d'action populaire.
« Béthune n'a plus de presse de gauche (1), explique le nouveau venu. Depuis quelques années, Le Petit Béthunois, vieux journal autrefois républicain, de nuance radicale-socialiste, s'est enlisé chaque semaine dans la ligne de conduite d'un rose de plus en plus atténué. Au début de la campagne des élections municipales de mai 1935, le rose est devenu tout à fait blanc. […] Le Petit Béthunois épaula de son mieux et avec un flair remarquable, la liste municipale sortante, de liliale blancheur, dont 15 membres sur 27 restèrent sur le carreau. Le peuple, las d'être berné, s'était enfin ressaisi. »

LE CARILLON MUNICIPAL
Propriété des conseillers municipaux majoritaires dont le nouveau maire, le radical André Legillon (2), Le Carillon a pour gérant Paul Lenglart qui, jusqu'en 1934, occupait les mêmes fonctions à L'Artois républicain. Président de l'Union fraternelle des anciens combattants et de bien d'autres sociétés, le premier est le fils de l'ancien maire Alfred Legillon (3) et le frère d'Henri Legillon, candidat malheureux de l'Union nationale lors des sénatoriales de 1934. Radical également, le second est un ancien élève de l'Institut industriel du Nord, devenu représentant de commerce, il est alors adjoint aux travaux.
Imprimé par Lagache et Hennebois, place Pétain à Béthune, le premier numéro de ce mensuel sort le 12 janvier 1936. Vignette du beffroi de la ville à la gauche du titre, paroles du serment du 14 juillet 1935 (4) à droite, il se présente sous la forme d'une feuille de quatre pages de format 33 x 50 cm sur quatre colonnes. Il est vendu 0,25 F ou 3 francs pour un abonnement d'un an et affiche de belles ambitions avec un tirage affirmé de 6 000 exemplaires. « Notre Carillon vient à son heure et comme un petit coq, se dresse solide et courageux pour la défense de la liberté populaire locale contre la coalition réactionnaire du dindon et du vautour (5), expliquent ses fondateurs dans ce numéro.
Il mènera son combat en ripostant contre les attaques dont est l'objet l'attitude nette, propre et volontaire du bloc de représentation proportionnelle […] de la part des suppôts d'un capitalisme égoïste et rapace et d'un cléricalisme inacceptable. »
Le Carillon mène donc une campagne de justification et de défense des actions de la municipalité : le budget, l'agrandissement du collège des garçons, l'abattoir municipal, le théâtre, la retraite des employés municipaux, etc. Défenseur des petits commerçants, il revient également sur le dépôt de bilan de la Société de constructions métalliques qui a conduit au licenciement de plusieurs centaines d'ouvriers.
Mai 1935 doit être un tremplin pour mai 1936. « Les élections de mai 1935 ont donné une sévère leçon aux renégats de la République laïque, répète le mensuel, toutes les fractions républicaines populaires béthunoises, radicales, socialistes, communistes ont compris le danger réactionnaire et ont préparé le rassemblement populaire que toute la France a consacré le 14 juillet 1934. » Le Carillon s'affaire à la victoire du Front populaire, appelant à battre le député Jules Appourchaux, et à voter pour le socialiste Cadot ou le communiste Coquel. Il égratigne Le Petit Béthunois qui renie son passé républicain au profit de ses intérêts. Il l'a déjà dit, ce journal, actuellement, « se traîne dans le sillage du réactionnaire Avenir de l'Artois ! » Il s'en prend particulièrement à son rédacteur en chef Pierre Pouillard, séduit par les idées de la droite nationaliste.

SON DEVOIR
Deux ans après sa fondation, la rédaction dresse un bilan positif de l'action du mensuel : « Il a défendu la municipalité de Front populaire contre les attaques abjectes d'une réaction affolée. Il a cloué au pilori certains gros négociants et industriels béthunois. Il les a marqués au fer rouge en dénonçant leur égoïsme et leur lâcheté. Il a muselé le rédacteur en chef ( ?) du Petit Béthunois qui se permettait de prendre un peu trop de liberté avec la réalité. Il a obligé L’Avenir de l'Artois à baisser le ton de ses polémiques grossières. Il a mené bataille contre M. Jules Appourchaux. Il a contribué à sa défaite. Il s'est dressé avec vigueur contre les Croix-de-Feu.
Il a fustigé certains cumulards notoires qu'il n'a pas hésité à signaler à l'opinion publique […]. Il a fait connaître l'œuvre de la municipalité de Front populaire que dénigrait sans cesse la presse réactionnaire, furieuse de voir une municipalité s'intéresser aux enfants des humbles.
Le Carillon a fait son devoir : il continuera courageusement la lutte. »
Le journal bénéficie de la collaboration de plusieurs élus : Marcel Marcel Audegond, 28 ans, professeur au collège de Béthune, membre de la CGT, conseiller municipal puis conseiller d'arrondissement en octobre 1937, le maire André Legillon qui propose des itinéraires pour les cyclotouristes, des articles d'histoire locale... D'autres articles sont signés André Charlus, L.C., R.B…
La collection des Archives départementales est bien incomplète. Cependant dès 1937, le journal semble avoir quelques difficultés. Des tensions se font jour au sein de la majorité municipale. Les appels à l'abonnement se multiplient dans les colonnes du Carillon. A partir du 22 décembre 1938, le même message revient chaque mois à la droite du titre : « Lecteurs du Carillon, un mot d'ordre : faites-nous des abonnés ». Le glas sonne-t-il pour Le Carillon ? Le dernier numéro paraît en juin 1939.


(1) Lors de son lancement en septembre 1932, L’Artois républicain tenait des propos similaires sur Le Petit Béthunois, « frère siamois de L’Avenir de l’Artois ».
(2) Le Carillon est la propriété des conseillers municipaux majoritaires : André Legillon, Joseph Guilbert, Edmond Vignon, Henri Lecoeuche, Émile Beaucourt, Marcel Audegond, Paul Lenglart...
(3) Avocat, Alfred Legillon a pris la succession du docteur Haynaut à sa mort en 1891. Il a été maire jusqu'en 1907.
(4) Le 14 juillet 1935, s'inspirant de la fête de la fédération, des milliers de manifestants ont prêter serment « de rester unis pour défendre la démocratie, […] pour mettre les libertés hors d'atteinte du fascisme ».
(5) Le Carillon désigne ainsi Le Petit Béthunois et L'Avenir de l'Artois.