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CANTONAL (le)

Le Cantonal. Journal agricole, commercial et industriel des cantons de Bapaume, Bertincourt, Croisilles, Marquion

Devient : Le Cantonal. Journal de Bapaume et de l’arrondissement d’Arras. Intérêts religieux, ruraux, administratifs, commerciaux, nouvelles officielles, sciences & littérature.- Puis : Journal de Bapaume et de l’arrondissement d’Arras.- Puis : Journal hebdomadaire publié à Bapaume pour les cantons de Bapaume, Bertincourt, Croisilles, Marquion.- Puis : Journal des cantons de Bapaume, Bertincourt, Croisilles, Marquion

À Bapaume, aux confins du Pas-de-Calais, à la limite des départements du Nord et de la Somme, l'événement a certainement été salué avec curiosité. Le 29 décembre 1872, l'imprimeur Alexandre Duval, installé rue de Péronne, fait paraître le premier hebdomadaire édité dans la ville, Le Cantonal, journal agricole, commercial et industriel des cantons de Bapaume, Bertincourt, Croisilles, Marquion dont le prix d'abonnement a été fixé à 6 F par an.
Le correspondant du quotidien républicain arrageois L'Ordre annonce « la grrrrande nouvelle, celle qui fait pâlir toutes les autres » avec une ironie de circonstance : « Il est né… le nouveau journal / Jouez hautbois, etc. » Énumérant les premiers « ratés » du nouveau venu, il ne montre guère d'indulgence : « Nous avons lu les quatre pages, avec constance sinon avec intérêt, depuis la date jusqu'au nom de l'imprimeur et cette lecture nous a laissé d'un froid…, mais d'un froid sibérien. »
Des premiers numéros, la collection conservée aux archives départementales du Pas-de-Calais n'a aucun exemplaire. Il faut attendre le 7 janvier 1877 pour y trouver le deuxième numéro de la cinquième année et pouvoir examiner son contenu. La période est au renouvellement des abonnements et chaque nouvel abonné se voit offrir un « magnifique ouvrage » à choisir entre Le Paysan riche d'Honoré Sclafer, Nos voisins les Anglais d'Eugène de Mirecourt et Les Amours vaincues de Charles de Nogeret.
Le périodique imprimé sur quatre pages de format 31 x 48 cm, présentées sur trois colonnes avec de larges marges extérieures, est devenu Le Cantonal. Journal de Bapaume et de l'arrondissement d'Arras. Intérêts Religieux, Ruraux, Administratifs, Commerciaux, Nouvelles officielles, Sciences & Littératures. Après une période d'attente, les lois constitutionnelles ont été votées faisant de la France une république ayant à sa tête depuis 1873 un président conservateur élu pour sept ans. Si les républicains sont majoritaires à la Chambre des députés depuis mars 1876, le sort du régime n'est pas définitivement scellé.

LA RELIGION, LA FAMILLE, LA PROPRIÉTÉ
Le Cantonal qui « ne se mêlait pas de politique », selon l'expression du fils de son fondateur (1), entre en lice. En juillet 1882, dans un article intitulé « Notre politique », son éditorialiste affirme : « Le Cantonal n'a jamais été un journal de parti. Né républicain, il est devenu conservateur le jour où la république a versé dans la révolution. » Quelle forme de régime revendique-t-il ? « C'est beaucoup moins, précise-t-il, la forme que les tendances et les actes du gouvernement actuel que nous réprouvons. » Sous la pression de son concurrent républicain, La Gazette de Bapaume, il avoue cependant quelques mois plus tard sa préférence pour la monarchie héréditaire : « C'est le régime qui, à notre avis, peut assurer le plus efficacement au pays la stabilité par l'hérédité, la grandeur par des alliances, la prospérité par le maintien de l'ordre et une équitable répartition des charges publiques. » Après la mort du comte de Chambord, saluant le nouveau prétendant au trône de France, le comte de Paris, son chroniqueur politique parisien, qui signe Spectator, prédit : « quand le pays sera dégoûté des aventuriers, des tripoteurs, il sait vers qui il devra se tourner. » Ce qui ne l'empêche pas d'affirmer avec l'arrivée de l'année nouvelle : « Monarchie libérale ou République conservatrice, tel est notre objectif et but de nos efforts pour 1884. »
Conservateur et catholique, Le Cantonal entend d'abord « maintenir la société sur les bases où le christianisme l'a placée », se faisant le défenseur du concordat, de la liberté d'enseigner et du choix de l'école, se montrant l'adversaire du divorce. Dans le domaine politique, il réclame un chef de l’État à l'abri des aléas d'une majorité même s'il revendique un régime parlementaire. Dans le domaine économique, il s'affirme un ardent protectionniste et réclame une réduction du budget, « seul moyen d'éviter la banqueroute de la France ».
Le Cantonal se montre donc un adversaire virulent de la politique menée par les gouvernements républicains successifs. La police le catalogue comme « royaliste ». Ses coups contre Jules Ferry sont particulièrement féroces, en 1883, il traite son ministère de « régime funeste ». Dix ans plus tard, lors de la mort de l'ancien président du Conseil, en mars 1893, il écrit : « Il en a été (des opportunistes) l'homme le plus perfide, le plus violent, le plus sectaire, le plus dépourvu de générosité.
Les lois scolaires, les décrets d'expulsion contre les religieux, les ducs d'Aumale, de Chartres et d'Alençon furent son œuvre, la plus malheureuse des campagnes qu'il dirigea la complète et rendit son nom odieux jusque dans la plus petite bourgade de France. » Dans les années 1890, la rubrique « Choses et autres » n'est souvent qu'un prétexte pour dénoncer les malversations dont se seraient rendus coupables les élus et les fonctionnaires républicains.
Sur le plan local, l'hebdomadaire est un opposant résolu à la plupart des équipes municipales qui se succèdent à Bapaume jusqu'en 1914. Il se montre tout aussi critique à l'égard des préfets du Pas-de-Calais, chargés de faire appliquer la politique gouvernementale. Camescasse, Vel-Durand sont peut-être les plus visés. Le retour dans le département du premier en candidat à la Chambre est violemment combattu. Quant au second, il est victime de l'antisémitisme qui sévit au sein d'un journal reprenant volontiers les propos de Drumont. La politique de laïcisation des républicains bapalmois, notamment en 1893 la confiscation des locaux des frères de la doctrine chrétienne au profit de l'école laïque des filles, de l'asile communal tenu par les sœurs de la Charité, est vivement attaquée. Son gérant du moment prend la défense des écoles congréganistes, se livrant dans une série d'articles à une comparaison des vertus des deux écoles dont la conclusion ne fait aucun doute… Quinze ans plus tard, Le Cantonal continue de poursuivre de sa vindicte la politique scolaire des républicains. À l'occasion des élections municipales de mai 1908, il affirme péremptoire : « Gaspillage et faillite, c'est donc ainsi que se résume l'œuvre scolaire de la IIIe République. »
La montée des radicaux l'entraîne vers plus de virulence, le bloc des gauches est qualifié de « bloc révolutionnaire qui […] ruine et […] opprime [le pays]. » Il inaugure une « tribune antimaçonnique ». En 1908, le nouveau rédacteur en chef réaffirme la ligne de la publication : « Notre thèse est traditionnelle […] Toute société, pour vivre, a besoin de deux choses : des points fixes et des idées progressistes, sans ceux-là elle tombe dans le chaos, sans celles-ci elle aboutit à la stagnation c'est-à-dire à la corruption. Si on ébranle les premiers, tout croule, si on étouffe les secondes tout s'atrophie. Or, nos points fixes à nous sont : la religion, la patrie, la propriété et la famille. […] et nous ne cesserons de lutter pour la reconnaissance des droits de Dieu, pour la prospérité des intérêts nationaux, pour l'apaisement des convoitises irréalisables, pour l'affermissement de ce petit royaume qu'est la société domestique. […] Nous croyons au progrès et au devoir pour l'humanité de toujours tendre vers le meilleur... Nous sommes convaincus qu'il y a dans ce monde place pour plus de justice et de vérité. »
Lors des différentes campagnes électorales, le journal soutient les candidats conservateurs : Dellisse, Lefebvre du Preÿ, Deusy, Tailliandier… En 1893, il ne fait pas défaut au député Henri Tailliandier, nouveau rallié au régime, contre le progressiste Jules Viseur. Il reste à ses côtés lors des rendez-vous électoraux suivants. C'est probablement le compagnonnage avec ce député qui amène le journal à regarder avec sympathie le nouveau parti catholique, l'Action libérale populaire. Il accueille dans ses colonnes un article de son fondateur Jacques Piou, il donne un compte rendu, exceptionnel par sa longueur, lors de sa venue dans la ville voisine d'Albert pour « la fête des libéraux des arrondissements d'Albert et de Péronne » en juillet 1910. La même année, Le Cantonal choisit de rejoindre avec Le Courrier du Pas-de-Calais, La Plaine de Lens et La Dépêche de Lille l'Union sociale artésienne qui regroupe des catholiques sociaux. L'absence de collections ne permet pas de suivre son évolution politique au-delà de 1912 où lors des élections municipales les républicains libéraux échouent d'un siège contre les radicaux à la mairie de Bapaume (10 contre 11).

« LE CANCANAL »
Organe de combat contre la politique des républicains, qualifié, encore en 1913, de réactionnaire par la police, Le Cantonal n'hésite pas à porter le fer contre son concurrent bapalmois (Cf. La Gazette de Bapaume), à égratigner L'Avenir d'Arras et au début du xxe siècle à affronter à l'hebdomadaire radical L’Éducation sociale qui fusionnera avec La Gazette. Journal unique de Bapaume jusqu'en 1881, Le Cantonal se considère comme l'agressé avec l'arrivée de la feuille républicaine.
En tout cas, les lecteurs ne se plaindront sûrement pas de cette concurrence. Le débat démocratique, même si en locale les arguments ne sont pas toujours à la hauteur, y gagne. Coïncidence ? Les abonnés voient, le 20 février 1881, quelques semaines avant la parution de La Gazette, le prix de l'abonnement passer de 6 F à 5 F.
Le nombre de lignes consacrées à la polémique entre les deux titres est impressionnant. Ils s'accusent des pires vilenies et ne sont jamais à un jeu de mots approximatif près pour ridiculiser l'adversaire. Ils se reprochent mutuellement de faire de l'information à partir de rumeurs. Accusation qui permet à La Gazette de surnommer son rival « le cancanal ». Il n'aurait qu'un inspirateur, le curé-doyen de la ville. La controverse sera plus violente avec L’Éducation sociale, en 1909 et en 1910 paraît une série d'articles signés Montsurvent contre le directeur de cette revue.
Tous les événements locaux liés à la politique de laïcisation occupent une place majeure dans le journal. Les événements heureux dans les écoles chrétiennes : résultats au certificat, distribution des prix… y sont longuement relatés. Cependant comme ses confrères, il ne néglige pas les faits divers (crimes, accidents de chemin de fer), les conflits sociaux (grèves des mineurs), les problèmes économiques (développement des chemins de fer locaux). Les articles historiques sur Bapaume y sont réguliers, en 1881, Alexandre Duval lui-même rappelle dans une série l'occupation prussienne de 1870
Hebdomadaire publié dans un secteur rural, Le Cantonal accorde une attention particulière aux problèmes de l'agriculture. Dès sa parution, il publie, à côte des cours des charbonnages, de ceux de la bourse de Paris, les prix des marchés aux vaches, aux veaux, aux porcs, à la volaille, aux grains… de Bapaume, mais également un bulletin commercial du marché d'Arras. Comme ses confrères de l'arrondissement, il suit la question des sucres. Lorsqu'Ernest Deusy, excédé par la politique anticléricale des républicains, abandonne son siège de député pour se consacrer au canton de Bapaume et surtout à l'agriculture, Le Cantonal se fait le relais de ses idées. À plusieurs reprises, il consacre une grande partie de ses colonnes, et parfois sur plusieurs numéros, aux discours et aux conférences du vice-président du syndicat des agriculteurs de France sur les problèmes de l'agriculture, le rôle des syndicats agricoles.

« CONSIDÉRATION ET PROSPÉRITÉ »
Pendant une quarantaine d'années, l'hebdomadaire est la propriété de la famille Duval. Fondé par Alexandre Duval en 1872, celui-ci le transmet à son fils, Henri, dix-huit ans plus tard. Son tirage est, en 1888, de 900 exemplaires dont 400 sont vendus par abonnement. Dans une zone de diffusion où la population ne progresse guère, ce tirage reste stable pendant de nombreuses années pour évoluer légèrement à la veille de la Première Guerre à 1 000 exemplaires. Ce qui lui assure apparemment « considération » et « prospérité » selon son propriétaire du moment. En 1911, il n'en relaie pas moins l'appel aux catholiques de Mgr Delamaire, coadjuteur de l'archevêque de Cambrai à des legs en faveur de la « bonne presse » : « cette orientation de leurs libéralités est à peu près inconnue de nos catholiques, ils donneront quelquefois des millions, dans leurs testaments, pour construire de vagues palais […] ou pour emplir les caisses d'une Assistance publique […] et la pensée ne leur viendra pas qu'avec les mêmes ressources dirigées vers la presse, ils auraient pu libérer des milliers d'âmes et sauver tout un pays. »
Henri Duval en assure la direction, la rédaction en chef et l'impression jusqu'en 1908. Pendant une courte période, de juillet 1891 à septembre 1893, s'il reste l'imprimeur du journal et y écrit toujours, la gérance est confiée à Nobert Saudemont, conseiller d'arrondissement. Celui-ci se targue de jouer un rôle effectif : « Nous sommes heureusement ou malheureusement gérant !... Nous n'avons pas la prétention d'être l'auteur de tout ce que publie Le Cantonal, mais nous avons au moins la prétention de lire les articles avant qu'ils paraissent… » Il y signe en effet plusieurs articles pendant quelques années et n'hésite pas à ferrailler contre La Gazette.
En octobre 1908, l'hebdomadaire est cédé à une société dont la gérance est assurée par Henri Pesez dont on peut faire la connaissance dans les colonnes des concurrents. L'homme, qui ne serait pas entré au Cantonal par conviction, serait, selon l'hebdomadaire radical L’Éducation sociale, un « ancien secrétaire de mairie socialiste de Nœux-les-Mines », collaborateur occasionnel du journal socialiste Le Petit Nœuxois. Henri Pesez, dont on apprend par la même occasion qu'il touche un salaire mensuel de 200 F, démentira, mais la polémique entamée contre le redoutable Guérin-Catelain lui est-elle fatale ? En mai 1910, après les élections législatives, où son contradicteur est battu dès le premier tour, et après la mort du roi d'Angleterre, il ironise : « Édouard VII et Guérin-Catelain ont disparu de la scène politique. » Conclusion on ne peut plus hâtive (Cf. notice La Gazette de Bapaume et L’Éducation sociale). Le 3 juillet 1910, c'est Pesez qui est remplacé comme directeur-gérant par Émile Cavillon dont le nom, placé sous le titre du journal, apparaîtra et disparaîtra au gré des circonstances.
Le Cantonal ne connaît guère de bouleversements importants sous l'ère de la famille Duval, son nombre de colonnes passe à quatre en 1881. La formule du journal est renouvelée à partir de l'arrivée d'Henri Pesez. La première photographie publiée par l'hebdomadaire apparaît à la « une » en avril 1909 pour un compte-rendu d'une conférence de l'abbé Bordron sur « l’Égalité devant la loi française ». D'autres suivront : un portrait de l'avocat Charles Fauvel, un autre de Mgr Lequette à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance,… En septembre de la même année, le rédacteur en chef annonce une augmentation du format, mais également pour « accroître le nombre de ses amis et de ses lecteurs » et ainsi lutter « contre l'envahissement de la tyrannie sectaire et de la corruption maçonnique » l'abaissement du prix de l'abonnement annuel à 3,50 F et du numéro à 5 centimes. Le 8 octobre 1909, le titre, en écriture cursive, est devenu Le Cantonal. Journal publié à Bapaume pour les cantons de Bapaume, Bertincourt, Croisilles et Marquion. Le format passe à 39 x 53 cm. La présentation est maintenant sur cinq colonnes. Les éditoriaux sont plus courts, les articles annoncés par des titres. Quelques mois plus tard, le titre a, de nouveau, changé, revenant à des caractères romains.
Malgré ses transformations dans la forme, le journal ne dit rien sur l'évolution de son imprimerie, sur les moyens mis à disposition de sa rédaction, sur les hommes qui la composent. En dehors de celle du rédacteur en chef ou du gérant, les signatures sont assez rares. Parmi les journalistes parisiens qui apportent leur contribution apparaissent notamment Spectator, Paul de Cassagnac, Alphonse Kaar, Henri Bazire, membre de l'Action catholique de la jeunesse et directeur de la Libre Parole en 1910, Junius, pseudonyme qui cache différents leaders de la droite nationaliste et catholique,… Ces contributeurs témoignent de l'évolution politique du Cantonal.
Le 9 août 1914, la pagination a été réduite à deux pages entièrement consacrées à la guerre qui vient d'éclater. Le journal semble avoir été composé à la hâte, la dernière n'est pas complètement meublée. En première, un avis aux lecteurs annonce que « le directeur-gérant du Cantonal devant rejoindre son corps cette semaine, […] à partir de ce jour et jusqu'à nouvel ordre, nous ne pouvons pas garantir la publication régulière... »

(1) Henri Duval, Le Cantonal, dimanche 4 octobre 1908.