← Retour

Bulletin des élections

Bulletin des élections

Bien qu’édité quelques mois après le rétablissement du suffrage indirect et censitaire (1), le Bulletin des élections fait partie de ces journaux qui naîtront régulièrement à l'occasion de l'organisation d'élections. Publié pour la première fois à la fin du mois de nivôse an V (janvier 1797), il disparaît après les élections législatives des 1er et 15 germinal an V (21 mars et 4 avril 1797).
Imprimé par la citoyenne Nicolas sur quatre pages de format 12,5 x 18,5 cm, le premier numéro du Bulletin des élections paraît sans date, ni prix. Une lettre adressée à la Tribune publique (2) le 24 nivôse, permet de situer la date approximative de sa sortie, tandis que la mention du lieu de vente permet de savoir que ce journal n'est pas distribué gratuitement. Seul, sous le titre placé très haut et sombrement imprimé entre deux filets horizontaux, figure le numéro de chaque livraison.
Ce bulletin est édité et, peut-être, partiellement rédigé par un libraire installé rue de l’Égalité, ci-devant rue Saint-Géry, le citoyen Delacroix. En dernière page de sa publication, il annonce que pour « rendre intéressant ce bulletin, [il] recevra franc de port tous les renseignements qu'on voudra bien lui donner, pourvu qu'ils soient signés et conservera l'anonyme (sic) pour les correspondants qui le désireront. »

FAIRE CONNAÎTRE LES CANDIDATS
Dans le premier numéro, le rédacteur expose son objectif : « L'intérêt que tout bon citoyen doit prendre à ce qui concerne son pays, m'engage à faire connaître à mes concitoyens, tout ce que le Journal des élections rapporte et dira sur le compte des hommes que l'opinion publique indique dans ce département pour remplir les fonctions législatives, administratives, judiciaires et autres. »
Tout au long de ces différents numéros, le Bulletin présente la liste des citoyens « propres à servir la chose publique par leur mérite particulier, leur probité, leurs talents, leurs mœurs, leur modération, leur dévouement au bonheur de leurs concitoyens, ennemis de toute faction surtout depuis la révolution et par suite proscrits et incarcérés sous le règne de la terreur. » À Saint-Omer, Dupont Sevault, beau-père de Carnot, membre du Directoire, « honnête homme, aimant d'être utile à ses concitoyens », mais aussi Gosse, accusateur public au tribunal de ce département, « ennemi juré des coquins qu'il poursuit avec chaleur » ; qui si l'on en croit le Bulletin « joint au talent et au patriotisme, la fermeté que demande sa place, et l'humanité, possédant toutes les qualités qu'on peut désirer dans un emploi comme celui qu'il remplit, enfin ce serait une perte pour le tribunal criminel. » À Béthune, De Bailliencourt dit Courcol, « ci-devant receveur du district de Béthune, il a une bonne judiciaire (sic), on en fera un bon juge. On peut lui accorder quelque confiance, il n'est plus, comme il a été dans l'Ancien Régime, le très-humble serviteur des grands, qu'il avait beaucoup de raison de ne pas honnir, pour servir bassement les sans-culottes et se rendre l'apologiste de Robespierre et de Lebon. », etc.
Le journal ouvre ses pages aux réflexions de lecteurs sur l'enjeu de ces élections. « Écartez hardiment des fonctions publiques, écrit un soldat, les royalistes, les anarchistes et les fanatiques ; éloignez en surtout sans espoir de retour les athées. Qu'ils sont dangereux ces hommes à prétention qui ont l'impudence de proclamer qu'ils ne reconnaissent aucun Dieu, qu'ils ne suivent aucune religion, qu'ils ne tiennent aucun culte. Malheur, oui trois fois malheur à ces hommes, peste de la société ! Ils sont non seulement les ennemis les plus dangereux de la république, mais encore les ennemis de tout gouvernement, l'influence de la religion est un des plus heureux liens de la société, et quel sera le détracteur de ce premier besoin de l'homme ? qui osera dire qu'un gouvernement peut s'isoler sans crime du culte religieux. »

NON AU RETOUR DES JACOBINS ET DES ROYALISTES
Ces remarques reflètent d'ailleurs la pensée des rédacteurs du Bulletin. Dénonçant à plusieurs reprises les excès des jacobins, le périodique met en garde les électeurs sur l'importance de leur choix : « Depuis 1789, vous savez de quels désastres la France a gémi. Vous n'ignorez pas que tout a été bouleversé, que la Liberté si souvent invoquée était tantôt une ombre fugitive, que l'infortuné voulait embrasser, tantôt un assassin revêtu de la toge d'une vierge. Elle fut presque toujours le prétexte des forfaits les plus noirs, des attentats les plus épouvantables. Rappelez-vous longtemps ces jours de calamité et d'horreurs afin de préserver votre pays des fléaux qui le menacent encore. […] Pesez donc bien toute l'influence que vous allez avoir sur nos destinées ; pénétrez-vous bien de l'auguste mission qui vous est confiée.
Au nom du salut public, au nom de tout ce qui vous est cher, rappelez-vous ce que la France attend tout de vous. » Cependant le Bulletin des élections exprime aussi sa crainte des royalistes qui mûrissent quelques espoirs de retour à « la monarchie pure et simple de 88 ». Ces préoccupations reflètent celles de la classe politique tentée de faire prêter aux électeurs un serment de haine contre la royauté et l'anarchie.
Un autre lecteur qui se présente comme un exclu de la loi du 3 brumaire réclame une répartition géographique des douze représentants du Pas-de-Calais aux deux Conseils : « Arras, souligne-t-il, est aujourd'hui sans représentants. […] Il est donc d'une nécessité absolue et indispensable de donner aux habitants de toutes les parties du département des défenseurs qui puissent s'occuper de l'intérêt général et de l'intérêt particulier de tous les administrés. L'impartialité, l'égalité, la justice exigent que le corps électoral se conduise sans prévention et sans prédilection. »
Toutes les formes semblent bonnes pour s'adresser aux électeurs et dire son espoir en un avenir meilleur. Un poème dans le n° 7 :
« Pour la paix et pour votre gloire,
Montrez vous hommes et Français,
Bannissez de votre mémoire
Le souvenir des maux qu'on nous a faits.
N'en laissez plus aucune trace,
C'est nous venger par des bienfaits
Que de ne plus remettre en place
Des hommes couverts de forfaits. »
Un chant dans le n° 8 celui de Germinal ou Hymne des honnêtes gens, dédié aux Assemblées électorales de J.L. Brud. :
« La Justice aux Français annonce sa victoire
Germinal sourit à nos vœux ;
Et de nos maux cruels effaçant la mémoire,
Le printemps verra des heureux
À la nature désolée
Il redonnera ses attraits,
Et sur la France infortunée,
Il va répandre ses bienfaits.
Que l'honnête homme enfin respire,
Nos tyrans vont être abattus ;
Et nous rendrons à cet empire,
La paix, la gloire et ses vertus.

Fuyez affreux brigands, monstres couverts de crimes
Fuyez jusqu'au bord des enfers
Redoutez ce courroux d'un peuple de victimes
Par vous chargé d'indignes fers… »

LUTTE D'INFLUENCES
Le Bulletin des élections est également le lieu de la lutte d'influence que se livrent les citoyens Dauchez et G.-J. Piéron, président de l'administration d'Arras.
Le premier, qui tente d'écarter le second de l'assemblée départementale, intervient à plusieurs reprises dans le journal. Dans le numéro 6, dont il est le principal rédacteur, les lecteurs peuvent lire une biographie particulièrement élogieuse : « homme de loi, joignant aux qualités civiles et morales celles d'un jurisconsulte éclairé, il n'a jamais brigué de place ; il a toujours rempli avec honneur celles qu'il a occupées, il a de l'énergie, il fût sous le règne de Lebon, une des victimes la plus remarquable de sa tyrannie, et presque le seul qui eut le courage, au tribunal d'Amiens, de dévoiler les crimes de ce monstre et de ces agents. »
La biographie de Piéron semble tout aussi élogieuse : « il a de grands talents administratifs, beaucoup de fermeté, la connaissance particulière qu'il a des lois, le fait regarder comme un homme capable de rendre de grands services à la chose publique. » Cependant, elle ne paraît que dans le n° 8, distribué à 3 heures de l'après-midi, alors que l'élection pour le département a déjà eu lieu.
Le dernier numéro qui paraît est légèrement différent des précédents. Daté du 26 germinal an V, il est paginé et son format est légèrement plus grand, 13 x 20,5 cm. Il est, cette fois, en vente chez le libraire Bocquet, qui en est également l'imprimeur.

(1) La Constitution de l’an III (1795), approuvée par référendum en septembre 1795, rétablit le suffrage indirect et censitaire, alors que la Constitution de l’an I (1793) prévoyait, notamment, l’élection de l’Assemblée au suffrage universel.
(2) Nous n’avons pas trouvé trace de ce journal.